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Mystère du hareng saur (Le)
Jasper Fforde
Fleuve, roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), 477 pages, novembre 2013, 21 €

Thursday Next, sixième. Après « L’Affaire Jane Eyre », « Délivrez-moi », « Sauvez Hamlet », « Le Puits des histoires perdues » et « Le début de la fin », revoici l’infatigable aventurière des livres.



Nous sommes dans la Méta-mythologie c’est à dire l’histoire des histoires et la Thursday Next à laquelle nous avons affaire est celle des livres plutôt que celle du monde réel, lancée à la recherche de la véritable Thursday, perdue dans le monde des livres à travers lequel elle a le pouvoir de voyager.

«  Pour préserver l’intégrité de la Jurifiction, j’accepterais d’être réduit en un godet de graphèmes.  »

Les choses ne sont pas simples pour notre Thursday bis, qui doit en même temps enquêter et tenir dans les livres le rôle que l’on attend d’elle. D’autant moins simple que son dodo domestique ne lui facilite pas la vie, que son ami Withby n’est pas toujours des plus recommandables (quelle idée, aussi, que d’incendier un autobus plein de bonnes sœurs et de chiots orphelins), et que la jeune fille qu’elle a recrutée pour tenir sa place dans les romans quand elle s’absente, malgré ses conseils, ne trouve rien de mieux à faire que de fricoter avec un gobelin.

«  La synthèse de la Métaphore est le Graal du Monde des Livres, à ne pas confondre avec la quête du Graal elle-même, qui est également le Graal du Monde des Livres  »

Encore ces ennuis domestiques ne seraient-ils pas grand-chose si l’enquête était simple. Mais, sur la vaste Île de la Fiction du Monde des Livres (il existe plus de deux cents autres îles consacrées aux autres formes de la littérature) on essaye d’assassiner Thursday à de multiples reprises. Il y a manifestement, derrière son enquête, de très gros intérêts : c’est que la véritable Thurdsay devait intercéder dans les discussions entre la littérature Féminine et le Roman Grivois, sur le point de se mener une guerre qui pourrait bien faire sombrer l’Île de la Fiction tout entière. Et puis, aussi, il y a ce mystérieux trafic de Métaphore...

«  La Métaphore a grimpé jusqu’à soixante-dix livres le baril. Je devrais me débarrasser d’un peu de Métonymie et acheter de la Synecdoque à terme.  »

C’est à travers ce trafic et bien d’autres que Thursday enquête sur le crash d’un livre inconnu et non identifié qui a semé dans sa chute des débris sur une longue ligne traversant l’Île de la Fiction. Son enquête, particulièrement dangereuse, la conduira, pourchassée par les Hommes en Plaid (prière de ne pas confondre le tissu écossais et le tartan), attaquée par des mimes (un morceau d’anthologie), appuyée par un majordome Dentelé (ainsi nomme-t-on les robots à rouages) qu’il ne faut pas oublier de remonter régulièrement, surtout pendant les poursuites en voiture, à travers les domaines de la Fantasy, de l’Humour, du Thriller, du Roman Psychologique, à proximité de l’Île de la Critique (« C’était une île à la beauté exceptionnelle, mais profondément tourmentée, confuse, envahie par une vaste couche de foutaises quasiment impénétrable »), puis dans celle du Compte d’Auteur, ainsi qu’au sein de bien d’autres livres ou endroits passablement surprenants.

«  Le réel est un endroit terrible et magnifique, pour l’essentiel régi par la passion, les lubies, les soldes et les mathématiques . »

Mais le pire, l’interdit, l’inconcevable se profilent bientôt à l’horizon : il va falloir que notre Thursday bis passe dans le monde réel. Là, et là seulement peut-être, elle trouvera les clefs de la disparition de la Thursday du monde réel. Encore faut-il s’adapter à ce monde effarant et ne pas tomber dans ses pièges.

«  Plus on remplissait le garage, moins il paraissait plein. Cependant, il n’était jamais vide, car cela aurait requis une quantité infinie de matière – et dans le cas d’un garage à deux places, le double d’une quantité infinie de matière . »

Nous n’en révélerons pas plus sur l’intrigue, suffisamment foisonnante pour réserver bien des surprises. Outre une forte dose de nonsense typiquement britannique (voir citation ci-dessus), sans oublier une touche d’autodérision, puisque l’auteur laisse entendre que ses livres n’ont guère été écrits que par d’obscurs tâcherons, on aura affaire à toutes sortes d’humour, y compris les jeux de mots (l’un des personnages se nomme Paige Turner) dont beaucoup ont dû donner bien du fil à retordre au traducteur.

On trouvera dans ce récit l’inventivité jaspeffordienne habituelle ; citons pêle-mêle les Morts-Lisants, le Service de Répression des Poncifs, des personnages issus de la fiction classique (la Dame de Shalott mais aussi Raskolonikov, débarquant avec sa hache ensanglantée dans le domaine de la fantasy, et confondant entre eux les personnages de Dostoïevski), les héros littéraires alternatifs (Gatsby le Médiocre), le Boujeumorial, sans doute destiné aux amateurs de Lewis Carroll, les machines infernales comme le Grand Accélérateur de Métaphore ou la « machine capable de transformer l’humour noir en sarcasme puis de revenir à l’état premier sans déperdition de la masse narrative », et diverses trouvailles comme la mesure du Taux de Lecture Instantanée, qui donne à chaque instant le nombre de lecteurs en train de lire tel livre (taux déclinant, on s’en doute, en fonction d’éléments bien déterminés comme les manifestations sportives), la Boucle Rétrosensible permettant aux lecteurs d’apporter des détails dans les livres ou la matière noire de la lecture « la dernière demeure hypothétique des livres non publiés, des idées jamais mises sur le papier et des poèmes n’existant que dans le cœur des poètes morts avant de les avoir confiés à leur plume. » Mais on n’en finirait pas de lister les inventions de l’auteur, qui fait un véritable feu d’artifice de cette fantaisie, au sens ancien du terme, qui n’est pas sans évoquer les meilleurs livres pour enfants, où objets et concepts deviennent animés.

Une bonne cuvée

Après le succès mérité du volume inaugural, le retour de Thursday Next pour de nouvelles aventures avait suscité l’appréhension de bon nombre de lecteurs. Dans la mesure où Jasper Fforde risquait d’user jusqu’à la corde l’originalité dont il avait su fait preuve en écrivant « L’Affaire Jane Eyre », il était légitime de se demander si l’auteur avait raison de remettre le couvert. Mais, même si les plus critiques pourront trouver ici et là, à travers ses romans, de très brèves baisses de régime, force est d’avouer que Jasper Fforde a, en sus du talent pour continuer à emporter le lecteur, une imagination qui apparaît quasiment inextinguible. Il l’avait récemment confirmé avec « La Route du Haut Safran », premier volume d’un cycle intitulé « La Tyrannie de l’arc-en-ciel » où il montrait une aptitude véritablement peu commune à développer un univers autour d’un postulat totalement original. En revenant armé de nouvelles idées pour un sixième volume consacré à Thursday Next, Jasper Fforde, avec le « Le Mystère du hareng saur » et près de cinq cents pages bourrées de fantaisie, ne fait que confirmer son excellente réputation.


Titre : Le Mystère du hareng saur (One of Ourt Thursdays is Missing, 2011)
Série : Les aventures de Thursday Next, volume six
Auteur : Jasper Fforde
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Jean-François Merle
Couverture : Jaya Miceli / Thomas Allen / Getty Images
Éditeur : Fleuve
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 477
Format (en cm) : 14 x 22,4
Dépôt légal : novembre 2013
ISBN : 9782265909065
Prix : 21 €



Jasper Fforde sur la yozone :

- La chronique de « Jennifer Strange, dresseuse de quarkons »
- La chronique de « Sauvez Hamlet »


Hilaire Alrune
8 janvier 2014


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