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Diable certainement (Le), 33 nouvelles délicieusement amorales
Andrea Camilleri
Fleuve Noir, traduit de l’italien, littérature générale, 215 pages, novembre 2013, 12,90€

Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, si le diable est connu pour se dissimuler là où nul ne l’attend, on ignore bien souvent la profondeur et l’étendue de sa perfidie, ainsi que son caractère absolument ubiquitaire. Andrea Camilleri, semble-t-il, est beaucoup plus au fait de cette omniprésence que le commun des mortels. En trente-trois nouvelles tragiques ou drôles, douces-amères ou hilarantes, il nous en fait la démonstration. Des nouvelles qui relèvent essentiellement de la littérature générale ou du récit policier, mais porteuses bien souvent d’une ironie et d’une férocité toutes particulières.



Andréa Camilleri fait dans le bref, le condensé, l’efficace : on ne trouvera pas ici d’analyses psychologiques étalées sur des pages et des pages, de descriptions interminables, de dialogues sans fin, de tirage à la ligne sous quelque forme que ce soit. Les nouvelles sont d’ailleurs à tel point formatées que l’on se demande si elles n’ont pas été publiées initialement dans quelque journal avec un espace contraint : pratiquement toutes sont calibrées à six pages. Pour le métro, un standard quasiment parfait : en fonction du rythme de lecture, une ou deux stations par nouvelle. Bien plus court que la pause cigarette standard – au travail, les non-fumeurs auront vite fait d’arriver au bout du volume. Et ne le regretteront sans doute pas.

Ils ne le regretteront pas parce que sur ces trente-trois nouvelles, fait remarquable, il n’y en a pas une seule qui soit véritablement mauvaise. Certes, certaines histoires de couples (elles sont nombreuses) ou de crimes (ce qui revient peu ou prou au même, du moins, soyons-en sûrs, dans l’esprit de Camilleri) ont parfois comme un léger soupçon de déjà vu, mais on n’aura quand même pas le mauvais goût d’aller reprocher à un auteur célèbre pour ses romans policiers de revenir sur ces thématiques incontournables. Pas de nouvelle réellement mauvaise, donc, mais aussi beaucoup de bonnes, voire de très bonnes, ce qui, dans l’exercice de la forme aussi brève, représente quasiment un exploit.

Il est difficile, devant ces récits à la fois courts et tendus, et qui malgré leur brièveté parviennent en quelques paragraphes à poser des personnages – époux, prêtres, juges, policiers professeurs, employés – des situations, parfois des vies entières, de ne pas penser à l’Italien Dino Buzzati qui était particulièrement maître en la matière. Mêmes personnages noyés dans le quotidien, mêmes aspects de la fatalité, mêmes magies et mêmes drames, même goût de la chute et de la concision. Plus encore, même goût de l’ironie. Car les personnages de Camilleri eux aussi sont victimes du destin, de la fatalité, du hasard, de la coïncidence impossible, de la bonne intention. Trop, c’est trop : le Diable est forcément derrière tout ça.

Nous ne saurions résumer ici la multiplicité des thèmes abordés, la diversité des chutes noires, grinçantes, amères, macabres, désabusées ou simplement hilarantes. Citons néanmoins quelques-uns des thèmes abordés : l’ironie de la critique littéraire prise pour un éloge par un public d’imbéciles ; le hasard impossible qui vient mettre un terme définitif à une vie tranquille ; la naissance d’une enfant qui signera la fin d’un héros ; la fatalité voulant qu’un service qui n’aurait jamais dû être rendu conduise à la catastrophe ; la justification morale d’un crime parfait commis par un enfant ; le Diable qui en feignant d’accorder la victoire à un ascète le conduit à la perdition ; les conséquences abominables, et fatales, de l’astuce d’un séducteur ; le crime dont celui qui est innocent ne pourra jamais prouver qu’il ne l’a pas commis ; un tueur qui ne parvient jamais à exécuter son contrat ; un crime entre deux philosophes, dont l’un soutient que deux vérités sont concomitamment possibles (une nouvelle qui n’est pas sans évoquer Borgès ou Chesterton) ; les lapsus hilarants et blasphématoires commis par un prêtre entre tous exemplaire ; l’enfant trop intelligent qui dans son village, par ses questions, ré-invente et réveille toutes les hérésies ; le bonheur dans le crime à la manière de Barbey d’Aurevilly ; la rencontre inopinée de l’épouse et des deux maîtresses d’un honnête homme ; une réflexion inconsistante faite par inconnue qui lance un individu serein dans des abîmes de perplexité existentielle.

Camilleri a un don particulier pour tourner et retourner les choses d’une manière plus que grinçante ; à titre d’exemple, mentionnons ce récit où l’épouse d’un écrivain le conduit au succès, tout au long de sa carrière, en séduisant un par un tous les critiques possibles, souvent de hauts membres du clergé vu les thèmes de son œuvre ; lorsque, finalement révulsé, l’écrivain déballe tout dans un roman, les prêtres, pour ne pas qu’on les soupçonne d’en être les personnages, en font un éloge particulièrement bruyant, un véritable triomphe. Mais nous n’en révélerons pas plus sur les autres récits, pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur.

Reste une question d’envergure. Pourquoi donc – et pourquoi Diable – ne pas donner de titre à chacune de ces nouvelles, et s’être simplement contenté de les numéroter ? On ne peut accuser l’éditeur d’avoir, ce faisant, essayé de faire passer à des fins purement commerciales un recueil de nouvelles pour un roman, puisque la couverture elle-même précise qu’il s’agit bien de trente-trois histoires. On ne niera pas le fait qu’un tel procédé complique singulièrement la tâche du chroniqueur, qui aurait aimé citer les titres des meilleures, des plus singulières, des plus percutantes, des plus renversantes de ces nouvelles. Sans doute le Diable s’en est-il véritablement mêlé. Quoi qu’il en soit, malgré ce défaut, on recommande ce volume : des nouvelles courtes, vite lues, souvent astucieuses, sur l’ensemble desquelles tout lecteur en trouvera forcément quelques-unes à son goût.


Titre : Le Diable certainement, 33 nouvelles délicieusement amorales (Il diavolo, certamente, 2012)
Auteur : Andrea Camilleri
Traduction de l’italien : Serge Quadruppani
Couverture : Andy Bridge
Éditeur : Fleuve Noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 215
Format (en cm) : 13 x 18,5
Dépôt légal : novembre 2013
ISBN : 978-2265097162
Prix : 12,90 €



Hilaire Alrune
14 décembre 2013


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