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Coeurs de rouille
Justine Niogret
Le Pré aux Clercs, Pandore, roman (France), steam-science-fiction, 272 pages, septembre 2013, 16€

Dans la vieille cité, il y a les hommes, pas tous égaux. Et puis leurs serviteurs, enfin ceux des plus riches : les agolems, pâles copies des robots de jadis qui aidèrent à bâtir la ville.
Saxe est un apprenti réparateur d’agolems, qui en sait peu, plus sur les légendes d’autrefois que sur la mécanique complexe des robots humanoïdes, tout de porcelaine et de rouages. Il s’est enfui, loin, dans les entrailles de la ville, dans le niveau inférieur, celui du passé, la ville morte par-dessus laquelle on a construit la nouvelle. Là, il a rencontré Dresde, une antique golem, presque à court d’énergie, de vie et de souvenirs. Ensemble, ils vont rêver de sortir, retrouver l’antique porte scellée lors de la grande révolte, et sortir...
Mais dans le niveau désaffecté, ils ne sont pas seuls. Plus que les souvenirs d’une société disparue, demeure un autre golem, qui a survécu à son maître et plongé dans la folie, chassant, traquant, tuant au nom de SA ville.
C’est autant une exploration qu’une chasse qui s’engage...



J’ai souvent à redire sur les arguments de 4e de couverture. On parle ici du manga « Fullmetal Alchemist » et du film « Metropolis » de Fritz Lang. Le croisement est audacieux mais on ne peut plus vrai. Aux néophytes, je ne déconseillerai pas le « Metropolis » réactualisé par Rintaro, bien plus digeste que le chef-d’œuvre muet du cinéma allemand, et tout aussi crépusculaire.

« Cœurs de rouille » est une ambiance, avant que la chasse ne commence. Justine Niogret, dont l’éloge n’est plus à faire, prend son temps, à raison, pour tracer un portrait en creux de la ville et de la civilisation qu’elle imagine autour de ses 3 personnages. Car le fil de son histoire est presque simple : une fuite, de plus en plus éperdue. Le danger croît à chaque pas, entre le golem qui joue avec eux comme un chat avec une souris, les forçant à avancer sans traîner, et les découvertes sur le chemin, entre émerveillement et effroi. L’auteure s’y entend parfaitement pour brosser des tableaux autrefois luxuriants aujourd’hui tombés en miettes, pourris, rouillés. Et c’est avec ces pitoyables et repoussants restes que Saxe et Dresde doivent recomposer leurs souvenirs et renforcer leur espoir. Le passage de la baleine est époustouflant : une révélation toute en lenteur, un moment ralenti où nous, lecteurs, avons pleinement temps de réaliser la beauté qu’on nous décrit puis l’horreur qui s’est installée après des années, des décennies sans la présence des hommes ou des machines...
En traversant les entrailles de la ville, les deux personnages parcourent un passé oublié, une page tournée, un monde et un mode de vie abandonné presque du jour au lendemain. Pourquoi ? Peu de réponses, mais en a-t-on réellement besoin ? Certaines scènes laissent entrevoir de graves ruptures entre hommes et golems, certains choix témoignent de la volonté de tourner la page sans un regard en arrière. De petites nuances émergent ici et là, au détour d’une pièce ou d’un souvenir, rendant ces catacombes bien plus vivantes (même si elles ne sont peuplées que de souvenirs) qu’un cimetière de béton et d’acier, et paradoxalement tantôt chaleureuses, tantôt terrifiantes.

La traque n’est pas innocente, et golem contre golem, chasseur et proie sont de taille à s’affronter. Mais Dresde, figure maternelle à laquelle Saxe s’est immédiatement attaché, est l’antithèse de Pue-la-viande, le golem fou et assassin. Si l’affrontement physique viendra, c’est un duel psychologique qui va surtout les opposer sous les yeux de Saxe, car à eux deux ils sont tout ce qui reste de la mémoire de la ville, poignée de fragments épars à demi effacés.
Enfin, ces deux géants usés, fatigués, brisés montrent leurs failles. D’une Dresde brusque lors de sa rencontre avec Saxe on arrivera à une créature protectrice et aimante, tandis que Pue-la-viande dévoilera les sources de sa folie, qui ne pardonnent pas tout mais expliquent les chemins de traverse empruntés par sa logique de machine.
Machines... le sont-ils réellement ? Leurs pulsions, leurs sentiments ne les rendent-ils pas très humains, finalement ?

L’écriture est sans temps mort, l’action alternant avec la découverte, la tension est continue, comme le jeune Saxe on ne sait trop quand reprendre son souffle. La peur le dispute à l’émerveillement à chaque pas dans ce passé empli de rouille, de poussière et de souvenirs oubliés. Tous les ingrédients sont idéalement dosés, chaque mot, chaque champ lexical brouille à merveille la frontière entre science-fiction, fantasy et steampunk, pour parachever le tableau de ces souterrains où pulsent fluides étranges et lumières chaudes, courants électriques et air vicié.

Justine Niogret n’a pas pour habitude de materner ses lecteurs. La seule chose qui désigne « Cœurs de rouille » pour le jeune public est l’âge de son principal personnage (et seul être vivant de l’histoire). Les images évoquées, les situations, les décors, les choix de chacun, tout cela est affaires de grands. Tout comme Saxe, le voyage nous aura fait abandonner les derniers lambeaux d’enfance.


Titre : Cœurs de rouille
Auteur : Justine Niogret
Couverture : David&Myrtille / dpcom.fr
Éditeur : Le Pré aux Clercs
Collection : Pandore
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 272
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 2,4
Dépôt légal : septembre 2013
ISBN : 9782842285074
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
10 décembre 2013


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