Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Transition
Iain M. Banks
Le Livre de Poche, n° 33143, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 594 pages, octobre 2013, 8,10€

Iain M. Banks (science-fiction) ou Iain Banks (littérature générale) ? Le Livre de Poche s’est manifestement posé la question, puisque la couverture porte bien « Iain M. Banks », mais que sitôt le livre ouvert, on retrouve bien le nom de l’auteur de l’édition originale, c’est à dire Iain Banks, sans le « M for Menzies ». Perplexité de l’éditeur, mais aussi perplexité du lecteur. Une perplexité bien plus profonde que celle qui pourrait naître du simple questionnement de l’appartenance ou non à un genre.



«  Je mène une existence ordonnée, presque calme, comme il sied à ceux qui consacrent beaucoup de temps à l’art délicat et néfaste du meurtre.  »

D’emblée, « Transition » apparaît comme un récit morcelé, une sorte de feuilleton où alternent les passages consacrés à divers protagonistes : le patient 8262, dont on ne sait rien ; Adrian, un dealer plus futé que les autres qui fait fortune dans la finance ; le scénariste, accolé à l’industrie du cinéma ; le Philosophe, tortionnaire de profession ; Madame d’Ortolan, haut placée dans cette mystérieuse organisation qu’est le Concern ; et enfin le Transitionnaire, capable de transiter entre les univers parallèles où il se livre, pour le compte du Concern, à une vaste série d’assassinats.

«  Nous modifions le cours des choses. Dans le bon sens, bien entendu. Nous l’espérons en tout cas.  »

À travers ces séquences – le récit apparaît construit comme un de ces feuilletons télévisés dont les épisodes cherchent à happer le spectateur par une certaine forme d’étrangeté, ne dévoilant que de manière progressive, et très fragmentaire, un monde qui ne répond qu’à sa propre logique – on découvre peu à peu, en trame de fond, le Concern. À l’aide d’une drogue, le Septum, des individus prédisposés parviennent à passer d’un univers parallèle à l’autre. Les assassinats ou autres actes commis par des individus tels que le Transitionnaire seraient destinés à améliorer le cours des choses dans ces univers parallèles. Mais notre Madame d’Ortolan aurait quelque peu abusé de ses pouvoirs, entre autres dans une île secrète où elle pratique la torture, persuadée que l’on peut amener les individus à « transitionner » sans l’apport jusqu’ici indispensable du Septum. Et une dissidente à la poursuite de laquelle s’est lancée Madame d’Ortolan, une certaine Madame Mulverhill, prend contact avec le Transitionnaire et essaie de l’attirer à son bord en lui expliquant que les tâches à lui octroyées s’inscrivent dans d’autres desseins que les objectifs officiels du Concern : éradiquer, dans ces mondes parallèles, tout en tentative de contact extraterrestre façon projet Seti ou Arecibo.

Menzies or not Menzies ?

Reste qu’en toute objectivité pas grand-chose ne tient debout dans cette histoire dont le fond apparaît aussi décousu que la forme. On ne sait pas grand-chose du Concern, on ne sait rien de la découverte du don, de la découverte du Septum, on ignore comment le Concern pourrait avoir idée des éléments infimes, qui, dans les mondes parallèles, pourraient engager le futur, comme si le Concern avait aussi possibilité de voyager dans le temps (alors que ses transitionnaires ne peuvent se projeter dans ces mondes parallèles, manifestement, qu’avec d’infimes décalages). Tout comme la notion de contact extra-terrestre, la série d’individus porteurs de pouvoirs permettant de traquer le Transitionnaire apparaît d’un bloc, sans aucun sens de la narration, comme la caricature grossière d’une fiction très bas de gamme.

Si certains chapitres sont prenants, on est hélas rarement happé par ce patchwork. L’ensemble demeure assez hétérogène et laisse par moments l’impression que l’auteur disposait de fragments destinés à des œuvres distinctes, inachevées, et qu’il aurait décidé, pour s’en débarrasser, de fusionner tant bien que mal en un unique roman. Ce sentiment de bricolage littéraire, de construction de bric et de broc perdure tout au long d’un récit parfois ennuyeux et qui s’étire tout de même sur près six cents pages.

D’un bout à l’autre du roman, on attend quelque tour de force littéraire, quelque virtuosité finale qui laisserait pantois, quelque trouvaille narrative qui lierait entre eux les fils et fragments jusqu’ici dévidés. Mais Iain Banks ne nous offre finalement rien de tel, et que deux des personnages présentés ne fassent qu’un (on soupçonnait depuis le début de telles fusions) ne fait guère plus d’effet qu’un pétard mouillé.

On le sait : Banks signait Iain M. Banks (M pour Menzies) ses œuvres relevant ouvertement de la science fiction, et Iain Banks celles destinées à un panel plus vaste de lecteurs. Parmi ces dernières, deux ouvrages remarquables : « Entrefer  », la dérive et la renaissance d’un individu dans le coma, dont la première partie offrait des rêves gothiques extraordinaires, et « Le Seigneur des guêpes », récit totalement atypique, réellement original et bourré d’humour noir. Et aussi deux romans plus oubliables : « Un homme de glace », thriller sans grande originalité écrit à une époque où tout le monde s’essayait à surfer sur la mode du sérial-killer, et « Le Business  », roman réaliste qui n’avait pas vraiment convaincu.

En s’inscrivant sous cette signature de Iain Banks plutôt orientée littérature générale, « Transition  » essaye sans doute de cibler un public plus vaste que celui du Cycle de la Culture. Certes, quelques thématiques intéressantes apparaissent : une ébauche de réflexion sur la torture comme il a pu en émerger dans les années post 11 septembre, un sous-récit façon « Le business  » décrivant les moeurs du monde de l’argent-roi, des bribes de questionnements sur l’ingérence, le pouvoir, et leurs dérives respectives. Mais cela ne suffit pas à contrecarrer l’impression de remplissage et de dilution donnée par de nombreux passages.

Une œuvre mineure

Si le personnage du scénariste, mentionné plus haut, est le sujet ici et là de quelques séquences assez inutiles et auxquelles on aurait bien du mal à trouver le moindre lien avec ce qui tient lieu d’histoire, c’est sans doute pour nous rappeler ce qui nous apparaît comme le propos de l’auteur : écrire un feuilleton, plus télévisuel que littéraire, un de ces longs feuilletons-fleuves étendus en saisons et écrits au fur et à mesure, bricolés pour durer en fonction de ce qu’en décide l’audimat, avec leurs improvisations, leurs inévitables lacunes, souvent énormes, leurs incohérences, leurs personnages et péripéties visant parfois au réalisme, mais souvent de pacotille, et aussi bien entendu, pour contenter les bas goûts du public, de la violence (en quantité suffisante), du sexe (souvent, de manière totalement impromptue, et assez maladroite), des super-pouvoirs (jusqu’au ridicule), de l’argent (le dealer golden boy) et au final pas grand-chose. Iain Banks a-t-il voulu faire la parodie appuyée et sans humour d’une certaine forme de fiction, ou a-t-il sombré involontairement dans la caricature ? Sans doute ne le saurons-nous jamais. Quoi qu’il en soit, « Transition », en sus de laisser perplexe, n’apporte rien à l’œuvre de Banks, et, même pour ses plus fervents admirateurs, n’apparaîtra guère que comme une curiosité et une œuvre mineure.

Titre : Transition (Transition, 2009)
Auteur : Iain M. Banks
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Patrick Imbert
Couverture : Lauren Panepinto
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Calmann-Levy, 2012)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 33143
Pages : 594
Format (en cm) : 11 x 18 x 2,6
Dépôt légal : octobre 2013
ISBN : 987-2-253-16972-7
Prix : 8,10 €



Iain M. Banks sur la Yozone :

- La chronique de « Les Enfers virtuels »
- La chronique de « L’Essence de l’art »
- Une chronique de « La Plage de verre »
- Une autre chronique de « La Plage de verre »
- La chronique de « L’Algébriste »
- Le cycle de la Culture
- Iain M. Banks par Gérard Klein


Hilaire Alrune
19 décembre 2013


JPEG - 15.8 ko



Chargement...
WebAnalytics