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Livre et l’Epée (Le), tome 1 : La Voie de la Colère
Antoine Rouaud
Bragelonne, roman (France), fantasy, 468 pages, octobre 2013, 25€

Voilà dix ans que la République a remplacé l’Empire. Pour une jeune historienne qui l’a retrouvé dans la taverne où il noie son passé, le général Dun-Cadal Daermon raconte. Il raconte la révolte des Salines, d’où est partie la protestation qui en cinq a mis l’Empire à terre. Il raconte surtout sa rencontre avec un gamin, là-bas, qui lui a sauvé la vie. Un gamin déterminé à devenir le plus grand chevalier. Un gamin qu’il considérait comme son fils, et dont l’Empereur a exigé la mort. Meurtre dont a été chargé Logrid, sa Main, son assassin personnel. Un poste qu’occupait Dun-Cadal auparavant, et un jeune successeur qu’il a formé.
Dix ans après, la République est menacée : un assassin, que Dun-Cadal reconnaît comme Logrid, exécute en pleine rue les anciens généraux impériaux devenus Conseillers du peuple...
Mais... c’est là la vision des évènements de Dun-Cadal.



C’est là le premier roman d’Antoine Rouaud, annoncé tambours battant par Bragelonne. Le roman sort simultanément en anglais, chez Gollancz (excusez du peu). La couverture est internationale, c’est pour cela sans doute qu’elle manque de relief...
Je ne sais pas si vous me comprendrez, mais un tel enthousiasme, moi, ça me hérisse un peu, je trouve cela suspect quand on crie au génie. Même si cela peut arriver.
Bref, je tiens à le dire, sans y être allé à reculons, j’ai ouvert « La Voie de la Colère » avec moult a priori. Comme le reste de mon argumentaire risque de lever le voile sur quelques surprises de cette histoire, je vais conclure tout de suite : c’est un bon bouquin de fantasy. Classique. Il y a quelques bonnes idées, le fond est bon, riche, mais rien de très original. Quelques clichés, plutôt. Mais voilà, quinze ans bientôt que je lis de la fantasy, je commence à être un peu exigeant.

Oui, oui, mais non

La première partie donne donc la parole à Dun-Cadal. Ancienne Main de l’Empereur, élevé au rang de général, issue de la petite noblesse rurale, c’est un rustre : un homme de foi et d’homme. Qui n’a pas sa place dans l’univers d’intrigues et de complots qu’est l’Empire. Mais, pour cette raison, il a la confiance totale de l’Empereur. C’est lui qui est chargé de réprimer la révolte des Salines, où le Comte d’Uster diffuse des idées révolutionnaires, avant de laisser la main à un parvenu de plus noble naissance, le capitaine Azdeki, qui envenime les choses en exécutant la famille comtale. Deux ans plus tard, la révolte a gagné les provinces voisines, tout le peuple s’est soulevé, Dun-Cadal revient. Blessé durant une charge, abandonné par Azdeki, il est sauvé par un gamin des marais, un orphelin qui veut devenir chevalier, qu’il baptise ironiquement Grenouille. Après une longue convalescence, tous deux arrivent à franchir les lignes ennemis, retrouvent les troupes de l’Empire et rentrent à Eméris, la capitale. Durant 3 années, ils vont parcourir l’Empire, Grenouille devenant un puissant chevalier, allant jusqu’à maîtriser leur étrange magie, le Souffle. Mais la révolte s’étend, arrive aux portes de la capitale. Dans les dernier jours, l’Empereur, pressé par ses conseillers, fait exécuter tous les réfugiés des Salines qu’il avait accueillis en ses murs. Dont Grenouille. Acte qui anéantit Dun-Cadal. L’empire tombe dans les heures suivantes, et le général fuit, emportant l’épée légendaire de l’Empereur, pour ne pas la laisser aux mains des insurgés.

Si l’écriture fait des va-et-vient entre le passé et le présent, soit l’assassinat d’un Conseiller à Masalia par Logrid, les deux se font rarement écho. Dun-Cadal a la gentillesse de ne pas torturer la chronologie, et se contente de rebondir sur un mot lancé pour plonger dans ses souvenirs.
Il brosse ainsi le portrait de la fin de l’Empire, et le lecteur se met de plus en plus à douter qu’il soit le héros de sa propre histoire. Le premier plan revient à son apprenti, Grenouille, et dans une moindre mesure, au fil des pages, un peu à Logrid, dont l’ombre plane sur le présent.

Le coup de théâtre arrive à mi-volume. Accompagné de la métaphore d’une pièce à deux faces, l’histoire nous est ensuite racontée du point de vue d’un autre personnage. Cela pourrait sembler une bonne idée, au fil des pages j’y ai plus ou moins adhéré. Cessez de me lire ici si vous ne voulez pas voir éventée la surprise.

Sûr ? Bon. Cette deuxième partie, parce qu’elle va reprendre la même histoire, s’avère presque ennuyeuse et en même temps bien plus riche. Les premiers chapitres sur l’enfance du personnage, sa rencontre avec le général, ses années de formation... certes, cela apporte quelques éclaircissements sur ses motivations, et surtout sa colère, au cœur du bouquin, mais cela laisse surtout un fréquent goût de redite : on nous re-raconte l’histoire en détails parce que le premier conteur n’a pas tout vu, tout su, tout compris. Là, on rentre dans les intrigues, avec l’envers du décor de la révolte. Du coup, toute la première partie fait inutile, n’a que l’intérêt de confronter deux points de vue, deux âges, deux camps.

Une fois les souvenirs apurés, on en vient enfin à l’intrigue actuelle : les traîtres d’il y a dix ans s’apprêtent à renverser la république ! Rien ne change. Et surtout pas le héros, qui après nous avoir infligé les inévitables passages obligés (révélation tardive de son aveuglement dans sa quête de vengeance, chute quasi mortelle, longue convalescence/renaissance par la force de sa volonté), n’a pas bougé d’un iota, toujours en colère, et toujours naïf malgré l’âge (il approche les 30 ans) et les épreuves, au point de faire foirer la bataille finale parce que son amour de jeunesse est là, au bras d’un autre. L’auteur et ses personnages ne savent pas faire dans la nuance. En y regardant de plus près, d’un bout à l’autre on réalise à quel point ce roman est manichéen. Et donc son intrigue sans surprise véritable.

Du bon classique

Mon avis est très partagé : je n’ai pas eu grand déplaisir à lire « La Voie de la Colère », malgré une écriture sans grand relief et des tics déplaisants (il y a au moins un « manquer de + infinitif » par page, et pas une seule fois une expression synonyme, genre « faillir »...). Je suis bon public, j’ai donné tête baissée dans le piège : on me dit « untel est mort », ok. On me dit « c’est untel qui assassine », ok encore. Mais bon, je ne suis pas tombé de mon fauteuil quand on me révèle la vérité, parce que celle-ci est « naturelle » dans un roman de ce type. Mais j’aurais beaucoup plus apprécié au contraire de ne pas être « surpris », parce que justement, une absence de coup de théâtre aurait été quelque chose de nouveau, et probablement de plus réaliste.

Je suis très critique, d’autant plus que la mort de Grenouille n’est pas la meilleure du roman. Si Rouaud évite la scène classique de l’affrontement entre les deux apprentis de Dun-Cadal, deux voies, deux vies..., par un adjuvant logique, on est du coup déçu. En fait, la déception commence là : le derniers tiers du roman, hormis la réconciliation maître-apprenti tant attendue et qui vous tire les larmes, n’a rien d’original : annonce de la bataille finale, élément perturbateur, baroud d’honneur, mort de la légende, vengeance tant attendue, un méchant arrive à s’échapper et tout est à refaire.

Donc, oui, c’est un bon roman, très construit, très riche, avec des idées, du fond. Je comprends parfaitement que l’éditeur le vende à l’international. Car non, ce n’est pas révolutionnaire pour deux sous, ça n’a pas la patte ou la gouaille de certains auteurs français (Jaworski ou Niogret pour n’en citer que deux, le premier pour son sens de la politique, la seconde pour sa plume, mince, allez lire « Mordred » !), c’est passe-partout, c’est de la fantasy épique, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre, point barre.

Je n’ai pas eu le choc, la révélation, comme ça a pu être le cas avec Gemmell (traduit pourtant avec 15 ans de retard) ou plus récemment Brent Weeks (la trilogie « L’Ange de la Nuit ») et Scott Lynch (« Les Salauds Gentilshommes »), qui savent tous deux jouer bien plus finement avec leurs personnages. Ici, aucune complexité, juste des masques sur des personnages d’un bloc, esquissés en deux-trois adjectifs dont ils ne démordront jamais. Et lorsque le masque tombe face au lecteur, que reste-t-il ? Une caricature extrême, un personnage sans vie propre, sans nuances, une simple pulsion.

Je le redis, le livre n’est pas mauvais, il est même bon, mais voilà, pas assez. Cela m’a fait la même impression que « La Maison des Mages » d’Adrien Tomas (faute d’avoir lu « La Geste du Sixième Royaume », prix Imaginales 2012) : c’est très bon, très dense, mais cela ne brasse que les trames classiques, et les rares surprises sont trop souvent étouffées sous la masse des atours et des ors de la grande saga. Tomas comme Rouaud ne semblent pas avoir tiré la leçon que George R.R. Martin martèle depuis l’adaptation de sa série : une bonne histoire passe avant ses personnages ! Leurs romans sont comme leurs complots, bien huilés, mais aucun grain de sable ne s’y glisse. Et c’est bien mon reproche.

Enfin, « La Voie de la Colère » est le fruit de dix ans de travail. Dois-je rappeler cette maxime éditoriale ? « On a toute sa vie pour publier son premier livre, et six mois pour le second ». J’attends donc la suite, d’ici cet été, disons la rentrée, pour savoir si « Le Livre et l’Épée » peut sortir du lot.


Titre : La Voie de la Colère
Série : Le Livre et l’Épée, tome 1
Auteur : Antoine Rouaud
Couverture : Larry Rostant
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : fiche du roman
Pages : 468
Format (en cm) : 23,8 x 15,5 x 3,5
Dépôt légal : octobre 2013
ISBN : 9782352947004
Prix : 25 €



Nicolas Soffray
30 octobre 2013


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