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Punk’s not dead
Anthelme Hauchecorne
Midgard, recueil (France), fantastique, 461 pages, octobre 2013, 16,50€

Après « Baroque’n Roll », les éditions Midgard nous proposent un second « Cercueil de nouvelles » composé de treize fictions d’Anthelme Hauchecorne. Des nouvelles pour certaines d’entre elles déjà primées, mais jusqu’à présent dispersées à travers revues ou anthologies. En rassemblant ces textes sous le titre de « Punk’s not dead », l’auteur compose un volume éclectique mais souvent sous-tendu par une veine à la fois musicale et contestataire, sorte de « punk attitude » qui n’exclut ni l’humour ni la parodie.



«  Le pétrole est la gnôle que le Diable distille, celle qui nous a précipités dans l’enfer où nous sommes.  »

Dans “Décembre aux cendres”, la frénésie de croissance a fini par conduire les hommes à leur perte. Les grandes villes ont brûlé : Paris s’appelle désormais Poussière, Rome Morgue, Stockholm Sépulcre, et Budapest Brûle-Peste. C’est à travers les ruines post-apocalyptiques de cette dernière cité, où entre mythologie, vocabulaire et traditions hongroises une enfant en proie à la misère se résout, pour pouvoir soigner sa mère, à s’engager avec les Scorpailleurs, autres enfants payés pour se faufiler dans les ruines où couvent encore et toujours les flammes pour en ramener des objets de valeur. Las, la gamine y fait une rencontre étrange, et, d’une certaine manière, même si motivée par de bonnes intentions, finit par vendre son âme au diable : univers de ruines et de cendres, absence de toute lumière, exploitation de l’homme par l’homme et pessimisme irrémédiable : un futur très noir, si ce n’est une absence de futur.

«  L’Apocalypse est la seule vraie démocratie.  »

No future dans “Décembre aux cendres”, mais pas plus, si ce n’est encore moins, dans “No future ou l’apocalypse selon Johnny Rotten ”. En imaginant la mort de la planète vue et vécue par un punk zombie – et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit rien moins que du leader des « Sex Pistols », Anthelme Hauchecorne se montre à la hauteur de Georges Romero en faisant de la critique sociale plus féroce encore que le cinéaste de morts-vivants. Et notre brave petit contestataire Johnny Rotten finit par réaliser qu’il n’a jamais été qu’un amateur en regard des huiles, élites et autres bourgeois : « Quand nous prenions la société pour cible, vous, c’est la planète entière que vous aviez dans le collimateur. » Une belle variation sur le thème de la fin du monde. Un texte court, percutant, saignant, sanglant, et qui bien entendu se dévore.

«  La légende voudrait que le végétation de Victoria secondus contienne plus de vingt pour cent de génome humain. (…) Adéquation évolutive : en effet, il n’y a guère que le génome humain pour proliférer sur le substrat de la misère et des inégalités.  »

Dans “Sarabande mécanique, a steampunk tribute to Stanley Kubrick ”, l’Empire britannique ne s’est pas arrêté à ses colonies, mais a également conquis l’espace. Et c’est encore pour Anthelme Hauchecorne l’occasion d’une nouvelle particulièrement bien vue, un futur hideux de plus dans cette parodie élisabetho-victorienne des romans classiques et des métrages à la Barry Lindon. Phrénologie, extravagant chapeau-gramophone, serviteur xénozoulou, duels, nobles dégénérés : entre la dénonciation des travers historiques de l’Empire et des mœurs victoriennes, le steampunk et la farce, ce récit pousse à son paroxysme le principe de la machine infernale. En une scène finale à mi-chemin entre la science-fiction et l’épouvante, l’auteur imagine, par le biais des nanomécaniques, un futur cauchemardesque où l’immortalité est mise à la portée des aristocrates les plus décadents.

«  La bouteille formol-framboise qui lui fait de l’œil n’intéressera sûrement pas le Saint-Siège.  »

CFDT ou les origines de la Confédération des Fantômes, des Dragons et des Trolls”, qui n’est pas sans rappeler l’amusant “Nuage rouge” du recueil « Baroque’n Roll », met en scène une pléthore de monstres dans une ambiance truculente et rabelaisienne. Nous n’en dirons pas plus sur “CFDT”, parodie de fantasy qui ne se résume pas mais se lit.

«  La mort existe en de multiples dimensions, telle une franchise victime de son succès.  »

Sale petite peste”, nouvelle référentielle à l’univers du disque-monde de Terry Pratchett, s’inscrit, tout comme le récit précédent, dans la veine parodique. On y voit la mort (ou, plus exactement, précise l’auteur, « le » mort, puisque la camarde est l’un des cavaliers de l’apocalypse), en proie à des difficultés très humaines, dans un monde où elle n’arrive plus à faucher suffisamment vite et où l’on doit, par exemple, reconvertir les linceuls en hamacs. Un texte qui, malgré son thème, contraste avec les ambiances désespérées des premières nouvelles du volume, et s’achève par une fin qui en regard apparaît presque optimiste.

«  Du fait de la mise en vente des enfants artificiels, le taux de natalité flirte avec le zéro absolu. L’humanité vieillit, se ratatine, malade d’hédonisme, pourrie par le confort.  »

À mi chemin entre le steam et le cyber, “Les gentlemen à manivelle ” serait-elle, et malgré son ton humoristique, une nouvelle mise en scène grinçante et désespérée de la fin du monde ? Fin du monde, pas sûr, mais fin de l’humanité, certainement. Que cette fin soit attribuable à ses défaillances organiques ou à ses sautes d’humeur, le résultat est le même. Les machines sont tout de même plus fiables ; c’est ainsi que l’on commence par remplacer quelques parties améliorables de son anatomie jusqu’à souhaiter devenir entièrement artificiel. L’originalité et l’humour de cette très douce fin prochaine de l’humanité proviennent de son abord particulier, non pas à travers une scène de ménage, mais à travers celles que l’on peut faire à une femme de ménage. Une variante qui, sous ses abords très terre à terre, ne manque pas d’astuce.

«  Si je propose à mon fiston un tour de balançoire et qu’il m’envoie paître pour lire une thèse sur la théorie des cordes, ça me flanque le bourdon.  »

Dans “La Guerre des gaules ”, l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite met en branle une série de mécanismes aboutissant à l’effondrement et au chaos, puis au pillage de la France par les multinationales. La crise est alors telle qu’un mécanisme darwinien prend le dessus : l’intelligence des Français se met à augmenter de manière fulgurante. Inutile de dire qu’il s’en trouve plus d’un pour la considérer comme une maladie neurologique à traiter à tout prix. Si l’on peut regretter que la solution à la crise imaginée par l’auteur soit basée au moins partiellement sur le même système omnimercantile que celui qui a déjà conduit la société à l’impasse, on appréciera la joyeuse férocité de la nouvelle. Une charge volontairement énorme mais qui, grâce la multiplicité de ses narrateurs, en particulier un vieil aristocrate quasiment fossile, ne manque pas d’humour.

«  Elle pointe du doigt tantôt un groupe de gnomes consumant un joint de mandragore, tantôt un Ankou émacié drapé dans son suaire.  »

Quelque part dans, et sous, la mégalopole lilloise, la fête de Samain, qui dure sept jours, voit s’atténuer et disparaître la frontière qui sépare la cité du Sidh, un univers souterrain à la fois horrible et féerique, à la fois grotesque et poétique, à la fois théâtral et effrayant. Dans cette longue nouvelle particulièrement mouvementée, nous suivons les premiers pas de la jeune Ambre à travers le Sidh, sa difficile accession au statut d’Éveillé, c’est à dire d’individu capable de percevoir non seulement le Sidh mais aussi ses manifestations en surface. L’occasion de découvrir, entre autres, les terrifiants Sylvères, certain pistolet Daedalos, « arme à feu féérique, bijou inestimable, calibre biomécanique parcouru de tuyaux souples… » ainsi que le non moins terrible Heell Crauque que l’on aurait bien du mal à ne pas rapprocher d’un certain Craqueuhle rencontré à plus d’une reprise dans le roman « Âmes de verre », lequel constitue le premier volume du cycle du Sidh. “Le roi d’automne”, donc, parlera aux lecteurs de ce roman, mais constituera aussi une bonne introduction à ceux qui seraient prêts à prendre le risque de se plonger dans les profondeurs du Sidh.

D’autres textes, en toute subjectivité, nous sont apparus plus anecdotiques. “Le Buto atomique”, récit de vengeance d’une entité de Muroroa pour les dégâts infligés par la mafia du nucléaire français, “Voodoo Doll” qui dans le registre policier a reçu le premier prix du concours de la ville de Parentis, et malgré sa chute bien amenée, nous semble plus relever d’un chapitre de roman que d’une nouvelle pleine et entière, “La grâce du funambule”, qui, comme le texte précédent, ne recèle pas d’élément fantastique, “La Ballade d’Abrahel ”, réécriture d’un conte lorrain du seizième siècle ou encore “De Profundis”, mettant en scène des entités mythologiques et abyssales.

Chaque nouvelle est suivie d’un petit « backstage » relatant les circonstances de sa genèse et de sa première publication. Avec une pointe de déception, on ne trouvera que peu d’éléments sur la création littéraire dans ces postfaces sympathiques, mais parfois trop didactiques (l’éditeur ou l’auteur partant du principe qu’il faut expliquer aux lecteurs ce qu’est le steampunk ou le récit picaresque), ou trop axées sur une actualité par essence fugace pour rester compréhensibles pour un lecteur non pas des générations à venir, mais simplement d’un futur proche. De même, les bons sentiments et vertueuses indignations qu’on y trouve, sans aucun doute louables, et bien entendu dans une démarche « punk » pleinement revendiquée par l’auteur, auront un petit goût de réchauffé pour ceux des lecteurs qui viennent, dans un recueil de contes fantastiques, chercher autre chose que ce qui a fini par devenir du politiquement correct. Privés d’anecdotes ébouriffantes, de relations d’illuminations subites ou au contraire d’insondables affres créatrices, ces derniers estimeront peut-être que l’exercice de la postface méritait un peu plus de relief.

Nous avions signalé le soin technique apporté à la réalisation du dernier opus d’Anthelme Hauchecorne, « Âmes de verre ». Nous retrouvons ici le même souci du détail. Hormis une minuscule réserve sur deux pages (les images de fond ne facilitent pas la lecture des remerciements et de la table de matières), on ne peut que saluer les attentions qui ont présidé à la finalisation de ce volume. Outre une couverture avec vernis sélectif, nous retrouvons nombre d’illustrations intérieures dues pour la plupart à Loïc Canavaggia : qu’elles soient d’inspiration steampunk ou plus globalement fantastiques, elles sont aussi réussies que l’étaient celles de Pascal Quidault pour « Âmes de verre ». Et, tout comme au sujet de « Baroque’n Roll », l’on trouve bienvenue cette utilisation, un peu à l’ancienne, de vignettes ou de dessins au trait comme séparateurs de paragraphes, qui donne un cachet particulier à un volume dont la lecture est rendue agréable par une taille intermédiaire entre le poche et le grand format. Autant de petits détails qui, à l’heure où le public montre une certaine tendance à se détourner du livre, prouvent que l’on peut en faire autre chose qu’un simple produit de consommation standardisé. Et qui prouvent également qu’il n’est pas besoin d’avoir recours aux artifices vantés par les partisans du livre numérique pour en faire un objet que l’on aura plaisir à découvrir.


Titre : Punk’s not dead
Auteur : Anthelme Hauchecorne
Série : Cercueil de nouvelles T2
Couverture : Loïc Canavaggia
Illustrations intérieures : Loïc Canavaggia
Éditeur : Midgard
Site Internet : page roman (site auteur)
Pages : 461
Format (en cm) : 13 x 21 x 2,5
Dépôt légal : octobre 2013
ISBN : 978-2-36599-046-2
Prix : 16,50 €


Anthelme Hauchecorne sur la yozone :

- La chronique du roman « Âmes de verre »
- La chronique de « Baroque’n’roll »
- Une notule sur « Sarabande mécanique » dans le revue galaxies
- Une notule sur « Nuage rouge » » dans l’anthologie « Conquêtes et explorations infernales


Hilaire Alrune
16 novembre 2013


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