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Le cyberespace de l'imaginaire




Le Tournoi des Ombres
Hervé Jubert
Le Pré aux Clercs, Pandore, fantastique / steampunk, 324 pages, octobre 2013, 16€

Bref retour en arrière : l’an dernier, Hervé Jubert publiait « Magies secrètes », un roman décrivant un passé alternatif, inscrit à la fois dans la veine steampunk et dans celle de la féérie. Ce récit, qui devait valoir à son auteur un Grand Prix de l’Imaginaire mérité, parvenait à fusionner ces deux domaines à travers les aventures de l’ingénieur-mage Beauregard (répondant, pour les intimes, aux doux et multiples prénoms de Georges Hercule Bélisaire) dans la ville de Sequana, sorte de Paris Belle-époque alternative d’où le souverain Obéron a décidé de bannir toute magie.
Employé au Ministère des Affaires Étranges, Beauregard, qui ne l’entend pas de cette oreille, a transformé secrètement son hôtel du Mont Rouge en arche pour fées et autres créatures merveilleuses : c’est en compagnie de l’une d’elles, semi-humaine, son assistante Jeanne, qu’il mène à travers Sequana des aventures ébouriffantes.



«  Le brouillard était partout (…) Les particuliers se battaient contre lui en colmatant portes et fenêtres avant d’aller se coucher. Le smog s’insinuait dans leurs chambres, leur lit, leurs âmes.  »

Si Hervé Jubert, à grand renfort d’annexes et de notes de bas de page consacrées à Sequana, semblait tout au long de « Magies secrètes » préparer une suite locale, il parvient, dans ce roman qui peut apparaître à la fois comme une suite et comme un volet indépendant, à surprendre le lecteur en abandonnant cette ville au profit de New London, Londres alternative et parfaitement victorienne, puisque y règne la fameuse reine Victoria (Vicky pour les intimes) et que le smog y est omniprésent.

«  New London. Mégalopole de vingt millions d’habitants. Douze millions d’humains, huit millions de Feys. Axis Mundi de l’Empire. Monstrueuse.  »

Il faut dire aussi que Vicky ne considère pas précisément les créatures surnaturelles de la même manière qu’Obéron. A New London, fées, centaures et autres créatures sont monnaie si courante que l’on se retourne plus guère sur qui ou quoi que ce soit. C’est dire aussi qu’il est difficile, lorsque l’on y enquête, d’y repérer quelque chose de louche.
Car, en effet, le séjour de Beauregard n’est pas de tout repos : appelé à New London pour y assurer la sécurité de la venue d’Obéron, il se heurte à d’obscurs complots, d’étranges machinations, et à des assassinats à grande échelle : on retouve des habitants morts, par centaines, enveloppés dans de grands cocons de soie.

«  Les trains des morts étaient indissociables de l’invention des chemins de fer.  »

On se garderait bien de révéler toutes les trouvailles « so british » d’Hervé Jubert, comme cet annuaire des trains fantômes, qui permettent à l’ingénieur-mage et à son associée de vivre à travers Londres des aventures trépidantes.
Trépidantes, car en sus des éléments cités plus haut, les circonstances l’amènent à planifier un duel avec le fameux explorateur Richard Francis Burton, à rencontrer quelqu’un qui pourrait bien être son propre géniteur, et à gérer les aventures et mésaventures parallèles de son associée Jeanne la semi-féérique. Sans compter qu’il possède en lui l’essence d’un poète mort, Gérard Labrunie, lequel se manifeste peut-être un peu plus souvent qu’à son tour.

«  Son ami Doré aurait pu remplir des albums avec ses visions fantastiques. Depuis qu’il rêvait, Beauregard avait traversé des forêts de cristal et des ruines d’empires, combattu ou protégé des créatures impossibles.  »

S’il y retrouve Gustave Doré, déjà rencontré dans « Magies secrètes », Beauregard n’aura guère besoin de l’imagination de l’artiste pour s’y trouver confronté à des spectacles surprenants. « Le marché de Gray’s Inn, comme tout New London, avait acquis une dimension spectrale et fantomatique » : tout bascule, dans ce récit d’investigation, au spectral et au fantomatique.
Réel, imaginaire ?
La frontière apparaît bien ténue. « Je ne parle pas de la croyance en Dieu mais en l’imaginaire. Bloody hell, Beauregard  ! » : voilà sans doute la meilleure appréciation de la situation que peut lui donner un des personnages-clefs du roman.

De Gustave Doré à Isambard Kingdom Brunel

Des personnages clefs : on ne saurait trouver meilleur terme dans ce roman à clefs et foisonnant de personnages qui assume pleinement sa vocation ultra référentielle propre au steampunk. On ne peut en faire ici un catalogue exhaustif. Parmi ceux que tout un chacun connaît : Victor Hugo, Gérard de Nerval (et bien entendu ses créatures), Charles Dickens, l’increvable et jamais mort John Dee, Richard Francis Burton, ou encore Maria Sybille Meriam (qui n’est pas inconnue des amateurs de zoologie fantastique car elle dessina au Surinam, volontairement ou non, des variétés impossibles de fulgores). Viennent ensuite Peachy Carnehan, personnage de Kipling, Aphra Behn (que l’auteur orthographie incorrectement Aphara), auteur d’un classique de la littérature anglaise du dix-septième siècle, « Oronooko », qui se passe également au Surinam, l’ingénieur Isambard Kingdom Brunel (nous aurions pu croire avec un nom pareil à une invention, mais il exista semble-t-il vraiment et construisit des architectures toutes victoriennes), Richard Dadd (peintre anglais préraphaélite), Dr Jekyll et Mister Hyde (tous deux devinés sous un autre personnage), sans compter Jack the Ripper sous une forme que nous laissons au lecteur le soin de découvrir, et tout un foisonnement de personnages tirés de l’Histoire ou de la fiction.
Pour qui est curieux, la moindre allusion conduit à d’intéressantes découvertes, comme ce fameux Alexis Vincent Charles Berbiguier de Terre Neuve du Thym, qui figure en bonne place au panthéon des fous littéraires. Partout, à chaque page, des allusions à décrypter. Ainsi l’adresse de la New London Stereoscopic Company, au 313 Oxford Street, ne semble pas correspondre, comme nous l’avons cru tout d’abord, à un lieu historique, mais est le siège actuel d’une célèbre enseigne de « Clock & Watches ». Steampunk, vous avez dit steampunk ?

Dans le lot, les puristes pourront regretter quelques références à un univers trop contemporain pour ne pas détonner dans l’ensemble (la version d’Obéron III point 1 totalement hors contexte, le cab de chez Aston & Martin qui est hors époque, la firme ayant été créée à l’époque édouardienne et non victorienne, les autres jamesbonderies, même si la ligne de dialogue : « Mon nom est Dee. John Dee  », fait sourire.) Mais ce sont là les seuls reproches que l’on pourrait faire à un ouvrage à tel point foisonnant que la présence de quelques scories devenait quasiment inévitable.

De nouvelles aventures, mais où ?

Inventivité, humour, culture, aventures, sentiments, magie, épouvante : le cocktail élaboré par Hervé Jubert dans « Le Tournoi des ombres » fonctionne à la perfection. En abandonnant Sequana pour un lieu emblématiques des ambiances steampunk, Hervé Jubert est parvenu à dérouter ses lecteurs, mais aussi à les ravir.
Où se passera donc la troisième aventure de l’ingénieur-mage Beauregard ?
Les pistes apparaissent nombreuses : car il est question un de Gotham (dont on n’oublie pas qu’il fut le nom donné à New York par le romancier Washington Irving), mais aussi de l’installation de Gustave Doré à Arkham, « sorte d’enclave magique où les rêves deviennent tangibles » et « lieu unique où la fiction peut prendre corps. »
Reste, pour finir, la curieuse référence à ces deux dames du Surinam et amies de John Dee, Aphra Behn et Marie Sybille Meriam, (proche de l’ancienne Guyane britannique, qui fut le seul territoire de l’Empire britannique en Amérique du Sud) : Hervé Jubert ourdirait-il un steampunk tropical ?
Qu’importe : quelle que soit la destination choisie par l’auteur, la Yozone entend bien être de ce voyage à la fois passé et futur.


Titre : Le Tournoi des Ombres
Auteur : Hervé Jubert
Couverture : dpcom.fr
Éditeur : Le Pré aux Clercs
Collection : Pandore
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 324
Format (en cm) : 14 x 22,5 x 2,5
Dépôt légal : octobre 2013
ISBN : 978-2-84228-526-5
Prix : 16 €


Hervé Jubert sur la yozone :
- « La Vagabonde »
- Un entretien avec Hervé Jubert
- « Blanche et le vampire de Paris- »


Hilaire Alrune
13 novembre 2013


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