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Belle
Robin McKinley
Mnémos, Dédales, roman traduit de l’anglais (USA), fantasy, 237 pages, avril 2011, 17€

Cadette d’un armateur veuf, la petite Honneur désespère de son prénom. Si ses aînées Grâce et Espérance portent bien leur nom, elle trouve le sien trop abstrait, surtout lorsque son père lui explique ce que c’est, et aurait simplement préféré être juste Belle... Le surnom lui restera, un peu ironique, elle qui ne rayonne pas comme ses sœurs, et est toujours plongée dans les livres.
Un revers de fortune de son père, sa flotte coulée et le fiancé de Grâce disparu, et voilà la famille contrainte de revoir son train de vie à la baisse. Le fiancé d’Espérance, un jeune forgeron, leur propose une petite maison, loin de la ville, de la côte, dans les terres, où ils pourront tous vivre.
Après un voyage éprouvant et un temps d’adaptation, cette vie modeste ne semble pas si triste.
Et puis un jour, le père est rappelé en ville : un bateau est rentré ! Prenant le risque de voyager d’hiver, il part plusieurs mois. A son retour, abattu, il avoue avoir coupé par le bois interdit, dans l’espoir de revoir les siens plus vite. Là, dans un étrange château, on l’a accueilli avec faste, mais pour avoir cueilli une rose pour Belle, la Bête qui hante le lieu l’a contraint à un sombre pacte...



Ai-je besoin de raconter la suite ? Belle accepte d’aller vivre au château, plutôt que de sacrifier son père. Servie par une armée de domestiques invisibles (mais pas tous muets), elle découvre la Bête, hôte pas si repoussant ni désagréable que cela, hormis lorsqu’il pose, soir après soir, cette même question : « Voulez-vous m’épouser ? »
Car malgré le bonheur que Belle éprouve à cette vie de château, entre la bibliothèque d’une grande richesse (avec des livres venant du futur) et ses promenades à cheval, elle souffre de l’absence de sa famille, dont elle rêve régulièrement.
Ce n’est que lorsque la Bête lui autorise une semaine d’absence, pas plus, qu’elle réalise l’attachement qu’elle a pour cet homme-animal, et la crainte de le perdre, si elle rentre trop tard...

Conte classique, ancien et maintes fois repris, popularisé au XVIIIe siècle par madame Leprince de Beaumont pour la forme la plus connue actuellement, adapté au cinéma par Cocteau et Disney..., est-il vraiment besoin d’en dire plus sur « La Belle et la Bête » ?

Robin McKinley est une voix majeure de la mythpoetic fantasy, très proche des contes de fées. Souvent primés, ses textes réinterprètent les légendes. Hélas, comme d’autres auteurs du genre, elle est très peu traduite en français. Son « Belle », écrit en 1978, traduit en 1993 et republié par Mnémos en 2011, est un enchantement. La seule couverture d’Alain Brion est un argument suffisant à son achat. Au premier abord, tout est là : une belle jeune femme, une robe au décolleté vertigineux, les mains griffues, brunes, possessives d’une bête. Et puis en y regardant de plus près, le fondu des couleurs laisse transparaître, au-delà des lèvres, la tristesse. Et cette image de prendre un tout autre sens une fois le roman terminé.

Au contraire des adaptations les plus connues du grand public, Robin McKinley accorde un bon tiers de son histoire aux causes de ce pacte avec la Bête : la vie des trois sœurs en ville, la perte de la flotte, l’exil contraint à la campagne... et la joie qui naît de ce nouveau départ. Une joie de courte durée, remise en cause par les nouvelles venues de la ville puis par la mésaventure du père.

Puis vient la découverte du château, de la Bête. Les secrets, les bizarreries, les trésors, et les questions : pourquoi le domaine semble-t-il hors du temps, déserté de toute vie ? Belle s’emploiera à trouver des réponses ou, à défaut, à résoudre les problèmes, sans se rendre compte que c’est sa présence qui catalyse le renouveau des choses. Tout comme elle tardera à comprendre la malédiction.
Il faut dire, et c’est bien normal, que les siens, de l’autre côté de la forêt, occupent largement ses pensées, et qu’elle n’a de cesse, après chaque rêve, d’implorer la Bête de pouvoir leur rendre visite.
La narration à la première personne s’avère parfaite pour nous faire partager l’état d’esprit de Belle, ses questions quant à ce qui l’entoure. Mais c’est aussi dans ce qu’elle se refuse à aborder, même en pensée, qu’on peut la voir évoluer : sa relation avec la Bête passe de l’amitié sincère à un mélange de pitié (pour la Bête) et de crainte (pour son avenir), avant qu’elle ne réalise la vraie nature de ses sentiments, balayant tout le reste.
Comme Peter S. Beagle l’écrit en 4e de couverture, “on ne voudrait pas que ce livre prenne fin”. C’est peut-être là sa seule faiblesse : un dénouement en happy end très rapide (autant que chez Disney), en 5-6 pages, qui laisse un peu sur sa faim, et ne manquera pas de faire penser au roman de Sean Stewart « Le Fils de Nulle Part », qui s’attache justement à conter ce qui se passe après...

Un conte centenaire, et un texte vieux de 35 ans... Rien n’a vieilli. C’est une histoire éternelle, qui ravira petits et grands.

A lire également sur la yozone :
- Une autre chronique de « Belle », par François Schnebelen


Titre : Belle (Beauty, 1978)
Auteur : Robin McKinley
Traduction de l’anglais (USA) : Sophie Dalle
Couverture : Alain Brion
Éditeur : Mnémos (édition précédente : Pocket, 1993)
Collection : Dédales
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 237
Format (en cm) : 21,5 x 14 x 2,2
Dépôt légal : avril 2011
ISBN : 9782354081126
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
16 juillet 2013


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