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Salauds Gentilshommes (Les), tome 1 : Les Mensonges de Locke Lamora
Scott Lynch
J’ai Lu, Fantasy, roman traduit de l’anglais (USA), fantasy, 702 pages, février 2013, 8,90€

La cité lacustre de Camorr est dirigée par le Duc, ses Vestes Jaunes garantissent la sécurité. Dans les bas-fonds, c’est la loi du capa Barsavi qui régit la vie des voleurs. Entre les deux puissance, la Paix Secrète : les voleurs ne s’en prennent pas à la noblesse ni à la police, et ces derniers ne font pas trop de zèle.
Locke, jeune orphelin, vole. Bien. Trop bien pour sa sécurité et celle de son maître, qui le confie à Chains, un prêtre du sournois Treizième Dieu. Chains recueille et forme une petite équipe avec un projet secret : faire tomber Barsavi en rompant la Paix Secrète.



Et Locke et ses camarades, passés maîtres dans les arts subtils de l’entourloupe, du déguisement et de l’intrigue, rançonnent la noblesse, accumulant les richesses pour le seul plaisir de réussir des coups de plus en plus tordus.
Jusqu’à l’arrivée du Roi Gris. Cet inconnu, accompagné d’un dangereux Mage Esclave, se met en tête de détrôner Barsavi. Omniprésent, insaisissable, omniscient, mortellement dangereux, il contraint Locke à se mêler à sa mascarade, au péril de sa vie...
Lorsque Locke commence à comprendre les raisons de tout cela, il va tout faire pour arrêter le Roi Gris. Par par altruisme, par amour pour Camorr (quoique) ou par héroïsme, mais par vengeance, par honneur...

Ceci n’est que la partie visible de la trame des Mensonges de Locke Lamora. Le roman de Scott Lynch est d’un incroyable densité, impossible à résumer, et c’est tant mieux : rien n’en vaut la lecture, qui vous happe sans espoir de décrocher.
J’ai une histoire un peu spéciale avec ce livre. Publié en 2007 par Bragelonne, je l’ai croisé dans toutes les bibliothèques où j’ai travaillé, sans jamais avoir le temps de le lire. 6 ans plus tard, le roman sorti en poche, je me décidais enfin. Et quel regret de ne pas avoir dégusté ce nectar plus tôt ! Mais peut-être que ces six années l’auront rendu encore meilleur, à l’aune de tout ce que j’ai pu lire entre temps. Et ce sera, je l’espère, votre cas aussi.

Le héros de Lynch est atypique, tout en rentrant dans les cases habituelles : certes, c’est un voleur, mais le meilleur. Son sens du bien est légèrement biaisé, du fait de sa profession, mais l’honneur, l’amitié et la loyauté sont ses qualités morales majeures. Jusqu’au-boutiste, il tient presque du surhomme au vu de ce qu’il subit dans ces 600 et quelques pages, malgré sa faible carrure.
Autour de lui, une fine équipe : le rondouillard Jean Tannen (les interludes dans la narration nous dévoileront leur rencontre, les bases de leur amitié et les talents cachés de Jean), les jumeaux et le jeune Moustique, l’apprenti. Des forces complémentaires. Des faiblesses, aussi.

Camorr, la ville-îles, est un terrain de jeu magnifique. Les îlots permettent de clairement séparer les quartiers et les classes sociales, et donc les allégeances. Les taudis ravagés par les maladies et les incendies (pour éradiquer les épidémies) font face aux immenses tours de Verre Ancien, vestige de la civilisation précédente, où vit la noblesse. Des ponts relient tout cela. Et le Marché Flottant, des barges immenses dans la lagune, où ont lieu des spectacles entre la corrida et le rodéo avec les requins.
On pourrait en parler, des bestioles qui rôdent dans les eaux de Camorr. Car elles ont aussi leur rôle dans cette histoire...
Et puis des dieux. Surtout du Treizième, le sournois, le farceur, toléré par ses douze frères et sœurs, et en même temps garant d’un certain équilibre entre eux... Car officiellement, Locke, Jean et les autres sont prêtres du Treizième, et toute leur éducation passe par cette voie d’un « certain équilibre ».

Après un premier chapitre consacré à la jeunesse de Locke, on en vient à leur plus grosse arnaque, la plus mûrie, qui va occuper tout le roman, car elle sera concomitante avec les évènements déchaînés par le Roi Gris. Lynch déconstruit quelque peu ses chapitres, pour nous présenter l’entourloupe avant sa préparation, et vu les ficelles utilisées (comme se faire passer pour la police secrète du Duc), on en vient parfois à douter de qui est qui sous le masque. Mais jamais l’auteur ne nous perd. Pas plus qu’il ne nous ennuie avec ses interludes sur l’apprentissage de ses héros, qui font toujours écho au présent. Il ne casse pas le rythme par ces retours en arrière, et ce nouvel éclairage est toujours à double sens : l’un est immédiat, l’autre viendra... plus tard... quand vous ne vous y attendrez pas, quand vous l’aurez oublié.
Et là, vous sourirez, un délicieux frisson le long de l’échine. Un de plus.
Car que ce soit dans les entourloupes culottées de Locke ou dans les évènements sanglants à la mise en scène grandiose qui chamboulent Camorr, ce roman donne le frisson. Parce que ses personnages sont touchants et drôles, parce que tous sont à cent lieues des héros propres sur eux de la fantasy classique, parce que pour une fois nous ne sommes pas du bon côté de la loi, parce que la gouaille l’emporte, parce qu’il y a toujours un plus gros mensonge proche de la vérité et un plus gros poisson pour le gober...
Et parce que malgré tout, Locke est un héros, à sa façon, honorable, qu’à la fin le Bien l’emporte (enfin, sa notion du bien) dans un climax violent et magnifique comme on les aime.

Parce que Scott Lynch boucle chaque boucle, ne laisse rien au hasard.

Du coup, on n’est pas « obligé » de lire la suite, « Des Horizons Rouge Sang ». Mais franchement, vous vous priveriez d’un tel plaisir ?
Les deux tomes ont raflé le Grand Prix de l’Imaginaire en 2008 et 2009. Un tome 3, « La République des Voleurs », est attendu pour cet automne. Le projet de film de la Warner, annoncé dès 2006, est tombé à l’eau (et bouffé par les requins).
Je terminerai avec mes félicitations à Karim Chergui, le traducteur émérite grâce à qui la truculente gouaille de Locke et compagnie nous ravit les yeux, et presque les oreilles.


Titre : Les Mensonges de Locke Lamora (The Lies of Locke Lamora, 2006)
Auteur : Scott Lynch
Traduction : Karim Chergui
Couverture : Vincent Madras
Éditeur : J’ai Lu
Collection : Fantasy
Site Internet : fiche du roman (site éditeur)
Numéro : 10282
Pages : 702
Format (en cm) : 17,8 x 11 x 3,4
Dépôt légal : février 2013
ISBN : 9782290067925
Prix : 8,90 €



Nicolas Soffray
14 mai 2013


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