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Testament des Pauvres (Le)
Michel Van den Bogaerde
Murmure des soirs, fantastique / littérature générale, 118 pages, mars 2013, 18€

Les éditions « Murmure des soirs » proposent depuis quelques années une collection de littérature fantastique privilégiant la nouvelle et restant en marge des grands courants et des modes. À leur catalogue figurent notamment des auteurs comme Thomas Owen, Alain Dartevelle et Jean-Marc Rigaux. C’est ici un nouveau venu, Michel Van den Bogaerde, qui nous présente, à travers seize nouvelles, seize visions d’un univers tour à tour réaliste ou fantastique, apaisé ou violent.



« Le jugement dernier a déjà eu lieu, ce monde n’aura ni fin, ni verdict. L’enfer est de ce monde, j’en attends les délices. »

On serait tenté, à la lecture de ce recueil de nouvelles, de classer les récits de Michel Van den Bogaerde en deux catégories distinctes – les ouvertement fantastiques, les pas du tout fantastiques – mais la chose n’est pas tout à fait aussi simple qu’elle en a l’air. Aussi pourrait-on dire que la valse-hésitation entre fiction et réalité décrite par un assassin graphomane dans “Quinze jours pour deux crimes ” résume cette part d’ambigüité qui revient régulièrement au fil du volume. Certes, des textes réalistes viennent ici et là se glisser, comme “Amata ou les amours discrètes”, ou “Miséricorde ”, récit d’une vieillesse encore pleine de goût pour la vie, mais on verse facilement dans l’allégorie et les interprétations possibles, comme dans “Un homme ” ou “Le Testament des pauvres ”, une fin du monde douce-amère. Et un texte très bref en apparence uniquement réaliste comme “Le Bistrot” conduira le lecteur à se poser bien des questions. N’y aurait-il pas dans ces lignes peut-être trompeuses quelque sous-entendu subtilement dissimulé, quelque intention secrète ? Et ce personnage discret poursuivi, au rythme de ses déménagements, par une moisissure tenace, “Comme une flanelle ” et comme dans un récit symbolique à la Buzzati, ne possède-t-il pas un pouvoir autrement terrifiant ? Sans cesse, on est confronté à cette marge étroite qui est celle séparant le récit tout-venant du conte fantastique, que l’auteur nomme la « littérature de frissons ».

Le fantastique et ses frontières

Si “Possession ”, récit classique (dont le lecteur, effrayé par un hideux pressentiment, devine peu à peu quelle en sera la fin), se revendique ouvertement de l’influence de Joseph Sheridan le Fanu, si “Le meneur ” débute par une entame classique qui n’est pas sans rappeler un des plus célèbres récits de Fitz James O’Brien puis prend une tournure inquiétante, évoquant des traditions à la Claude Seignolle, c’est plus souvent du côté de Jorge Luis Borges que se tournent les nouvelles fantastiques de Michel Van den Bogaerde. Ainsi “Le Livre” est-il ouvertement référentiel à plusieurs reprises au maitre de Buenos Aires, trop sans doute pour être efficace, tandis que sur une thématique voisine, et avec une même influence, “Le Progrès” constitue une nouvelle à la fois astucieuse, surprenante et pleinement aboutie. On croit deviner également une autre influence borgésienne, celle des récits de gauchos et de couteaux dans un récit en apparence apaisé, “La Porte et l’ombre ”, qui n’est pas fondamentalement fantastique, mais manipule tout de même à la perfection son lecteur.

Nous ne dévoilerons pas le contenu de “Miroirs sans fin”, étonnant récit qui mêle au thème des fantômes une problématique âpre et inattendue, et qui constitue, ce que l’on n’ose plus guère attendre lorsque l’on connaît un peu le genre, une variante authentiquement novatrice. Une nouvelle qui ne s’efface pas de sitôt de la mémoire du lecteur, et qui justifierait à elle seule la découverte du volume.

Des revenants encore, tout en délicatesse, dans “Pourquoi pas des fantômes ” : la manière qu’ont nos proches de réapparaître en nous, à travers nous, par nos sensations qui sont aussi les leurs ; dès lors, même si l’on n’accorde aucun crédit à ces histoires fantastiques, eh bien, finalement, des fantômes, pourquoi pas ?

Pas de revenants dans “Le rêve de Bourges ” ; et pourtant, dans ce récit très bref, une ambiance qui évoque bien des auteurs de la défunte collection Marabout, des gens comme Thomas Owen ou Michel de Ghelderode qui écrivaient parfois des textes non ouvertement fantastiques mais aux atmosphères telles que réel semblait y vaciller, prêt à basculer, sans que l’on puisse expliquer pourquoi, en des contrées bien étranges.

Un volume éclectique

Avec « Le testament des pauvres », nous avons donc un volume éclectique dans lequel les amateurs d’imaginaire trouveront à la fois de la littérature générale et ce fantastique subtil et allusif qui a donné ses lettres de noblesse au genre et qui, semble-t-il, est peu à peu délaissé, aussi bien par les grandes maisons d’édition que par la plus grande partie du lectorat. En poursuivant l’exploration de ces territoires peu fréquentés, les éditions « Murmure des soirs », tout comme quelques autres maisons de taille modeste, sont manifestement décidées à maintenir vivante la flamme abandonnée par tant d’autres. On ne peut que s’en féliciter.


Titre : Le Testament des pauvres
Auteur : Michel Van den Bogaerde
Éditeur : Murmure des soirs
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 118
Format (en cm) : 15 x 21
Dépôt légal : mars 2013
ISBN : 978-2-930657-09-4
Prix : 18 €



Les éditions Murmure des soirs sur la Yozone :
- La chronique de « Narconews » d’Alain Dartevelle
- La chronique de « Au nom du néant » d’Alain Dartevelle
- La chronique de « C’était demain » de Jean-Marc Rigaux


Hilaire Alrune
4 mai 2013


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