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Dernier loup-garou (Le)
Glen Duncan
Denoël, Lunes d’Encre, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique, 357 pages, janvier 2013, 22,50€

Fin 1999, la collection Lunes d’Encre de chez Denoël avait publié, sous la houlette de Barbara Sadoul, « Le Bal des Loups-garous », une anthologie consacrée au lycanthrope. Tout juste treize années plus tard, la Bête revient hurler à la pleine lune. Il se pourrait même, murmure et chuchote le vent entre les stèles et les arbres enneigés, qu’elle s’apprête à revenir pour trois volumes successifs. Entre la collection Lunes d’Encre et les loups-garous, après une longue éclipse, c’est donc sur une nouvelle lune de miel que s’ouvre l’année 2013. Un optimisme et des facilités de langage que nos lecteurs, nous osons l’espérer, nous pardonneront volontiers : face à une créature aussi abominable, il eût été inhumain de ne pas se laisser aller à des jeux de mots monstrueux.



Le chant du cygne des loups-garous

Mauvaise nouvelle pour Jake Marlowe. L’Office Mondial pour la Prédation des Phénomènes Occultes (OMPPO) a fini par abattre le Berlinois. La chose est donc officielle : Marlowe est désormais le dernier loup-garou. C’est dire que ses jours sont comptés : avec désormais sur le dos toutes les ressources de l’OMPPO, il ne peut guère espérer survivre au-delà de la prochaine pleine lune. Une pleine lune qui sera sa dernière mais en attendant laquelle il n’a pas grand-chose à redouter, le chef de l’OMPPO ayant décidé de ne le tuer que sous sa forme lupique.

Un héros désabusé, noir, victorien, et lassé de l’horreur

Peu importe, en fait, à Jake Marlowe. Avec plus de deux siècles au compteur, et un bon nombre de victimes à son registre gastronomique, il n’a plus envie de lutter. Il a tout vu, tout vécu. D’être désormais le dernier ne lui fait plus ni chaud ni froid : « La mort d’un être aimé vivifie brutalement le reste du monde : les nuages, les coins de rue, les visages, les pubs télé. On la supporte parce que le chagrin est partagé. La mort d’une espèce ne laisse personne avec qui partager le chagrin  », explique-t-il. Malgré les exhortations de Harley, son ami le plus fidèle depuis des décennies, il ne fuira pas, il ne résistera pas à l’OMPPO, il retournera mourir au bord d’une rivière, là où, deux siècles auparavant, il a été transformé en loup-garou.
Dans son désespoir, Jake Marlowe – Glen Duncan – accumule avec un art certain les réflexions désabusées, en un habile mélange de façons époque victorienne et récit noir, un soupçon de Wilde et de Cioran, qui témoignent de sa longévité et de sa condition de bête traquée. Il se moque de tout, y compris de sa nature, de la race des lycanthropes, allant même jusqu’à imaginer ce que d’autres pourraient dire de sa fin : «  (...) les camps de concentrations, le goulag, les champs de la mort du Cambodge, nous nous sommes reconnus dans les lectures des annales du crime. La technologie a allumé les projecteurs et personne ne peut plus méconnaître les faits : la bête est superflue. C’était nous tout du long.  » Il imagine que même révéler sa nature au grand jour serait inutile : « Quand on voit à l’œuvre l’alchimie qui fait d’un crétin un millionnaire et d’un minable une icône mondiale, un homme se changeant en loup n’a rien de très excitant.  » De son côté, plus rien non plus ne suscite son intérêt, et pas même la chair.

Un héros en proie à un spleen sans fin

Car, on le saura désormais, le loup-garou, s’il est immensément féroce, est aussi, même sous forme humaine, particulièrement lubrique : « Quelle qu’en soit la raison, il n’y a jamais eu assez de femelles. C’est une des grandes tragédies sexuelles de l’univers », déplore Marlowe avec un flegme tout britannique. Les lecteurs les plus prudes – s’il en existe encore – sauteront donc les scènes explicites. Mais le désespoir de notre dernier loup-garou est tel que même la chair devient triste. Pour autant, Jake ne perd pas tout à fait son humour : « Désir et ennui exacerbés dans le même flacon. Je fais ce que je fais avec le désespoir vitreux de l’obèse extrême se frayant à coups de dents son chemin à travers son tonnage de chocolat et de poulet frit. » En tant que natif d’Écosse, il se console avec de bons alcools, consommés sans excès mais avec une fréquence dépassant de loin les récurrences de la pleine lune, et a développé une accoutumance certaine au tabac : « Le plus beau cadeau de la lycanthropie : la certitude que fumer ne tue pas.  » Ces substituts chimiques, pourtant, ne suffisent plus à masquer sa lassitude. Une lassitude née de la répétition de ses crimes, de ceux commis par l’Histoire, de la récurrence permanente, et insupportable, des moindres évènements, des moindres détails.

« Tout était là, rapetissé sous la voûte sombre du monstre. »

On a donc affaire, on le devine, à un héros très littéraire. On n’en attendait pas moins d’un personnage né dans la riche société victorienne. Mais l’on a, par bonheur, également affaire à un héros graphomane ; l’essentiel de ce roman est une narration à la première personne constituée d’extraits de ses carnets. Jack Marlowe n’est avare ni de confidences, ni de détails parmi les plus réalistes. L’on apprendra donc très exactement comment il est devenu ce qu’il est, comme il s’y est malgré lui accoutumé. « On s’attend à ce que l’horreur fasse une entrée spectaculaire ; pas du tout – elle arrive de manière très prosaïque. Dès les premières secondes, on sait qu’on lui trouvera une place.  » Une horreur que chacun et chacune banalise : « Ainsi avait-elle découvert la vérité selon Conrad : la pire horreur c’est que l’horreur existe ; puis qu’on s’en accommode. »
Ses crimes commis de manière incoercible, il essaye de les compenser par des actions charitables, sans se faire la moindre illusion, sachant pertinemment que « L’argent n’est pas une monnaie libératoire dans le monde moral. » Un héros tourmenté, donc, mais qui, étant malgré tout ce qu’il est, trouve dans le crime, dans la dévoration, non seulement un soulagement, mais une extase véritables. « Lassatus sed non satiatus », aurait-il pu écrire. Faut-il détailler dans son journal ses propres crimes ? « Une opinion communément admise veut que l’atrocité se chronique, sans plus. Les faits, pas les émotions. On donne les dates et les chiffres, mais on n’entre pas dans la tête d’Hitler. Tout cela est bel et bien quand le chroniqueur est extérieur à l’atrocité. Ca ne marche pas quand il est l’atrocité », écrit-il. Mais ces questionnements ne l’empêchent pas de faire le récit de ses chasses. On y trouve cette intensité, cette exacerbation des sens que l’on retrouve dans les scènes de chasse, bien réelles, de certains auteurs de « nature writing », quand tout prend une densité, une acuité singulières. Il y a indiscutablement, dans « Le Dernier Loup-garou », des passages très forts.

Une lente bascule hollywoodienne

On a donc l’impression de partir sur quelque chose de particulièrement puissant, de désespéré, d’intemporel. On pressent, on anticipe une longue traque linéaire, une sorte de pureté dans la trajectoire finale, avec comme enjeu l’inéluctable mise à mort, une élévation vers le dépouillement et la puissance du mythe – les grands espaces, la forêt neigeuse, l’ultime face à face entre le chasseur et la proie, la violence et la poésie mêlées, comme dans l’inoubliable « Scènes de chasse en blanc » de Mats Wägeus
Mais, peu à peu, c’est la bascule inverse qui s’amorce, puis, hélas, se confirme. Dès sa seconde partie, le récit verse de la littérature vers l’imagerie cinématographique : pas seulement un loup-garou mais aussi des vampires, des tas, une cinquantaine de grandes familles au total, et une richissime héritière française qui mène des expériences dans son domaine à Biarritz, et un manuscrit perdu, et des personnages caricaturaux (si la folie d’Ellis est assez bien décrite, lui-même n’est construit que comme une image outrancière sortie des films les plus récents du genre), et un cinglé tenace, sortant d’on ne sait-où, qui vient mettre une épine (en l’occurrence une lance en argent) dans le pied de tout ce beau monde, et les gadgets à la mode, armes à ultra-violets, mitrailleuse à pieux anti vampires héliportée pour transfixier les buveurs de sang en plein vol, etc. Sans compter l’infection virale et l’amour lycanthropique. Tout ceci sortant de métrages explosifs et à effets spéciaux comme on a pu en voir ces dernières années, ou manifestement destiné à en faire prochainement partie. Un appel du pied transparent – et manifestement entendu – au monde hollywoodien, Ridley Scott ayant, dit-on, acheté les droits du roman.
On s’en doute : si « Le dernier loup-garou  » gagne en action et en tension, il est dès lors difficile à l’auteur de préserver l’aspect à la fois réaliste et crédible de son héros. En gardant une indispensable continuité de ton, Glen Duncan ne ménage certes pas ses efforts pour éviter la rupture. Malheureusement, l’enchaînement de péripéties et la nécessité d’une fin ouverte tendent peu à peu, et de façon sans doute inévitable, à gommer au moins en partie l’aspect littéraire, et à faire passer au second plan ce qui faisait la singularité, la force et la puissance initiales du roman.

Entre lumière et ténèbres, entre chien et loup

Au total, on ne peut donc réprimer un petit pincement de déception à voir « Le dernier loup-garou  » rentrer dans le rang du conventionnel et du candidat à la mise en images, au détriment d’une âpreté et d’un désabusement existentiel plus purement littéraires qui, s’ils avaient été pleinement exploités, lui auraient sans doute permis de transcender réellement le genre. Mais force est d’avouer qu’en cherchant – et en réussissant – à jouer sur les deux tableaux, Glen Duncan a tenu son pari : écrire un bon roman de genre capable d’être dévoré par les amateurs de lycanthropes, mais aussi une fable à la fois désabusée et crépusculaire à laquelle les friands de littérature, s’ils s’aventurent en ces terres hantées, pourront arracher à belles dents de vastes lambeaux. Quels que soient ses lecteurs à venir, il est sûr en tout cas que ce « Dernier loup-garou » mérite sa place aux côtés des très bons romans de lycanthropie – comme, par exemple, le magnifique roman d’aventures de Robert Mc Cammon, « L’Heure du Loup » – et l’on est assez curieux de voir quelles seront les directions prises par ses deux suites, « Tallula Rising » et « By Blood we Live », que l’on espère voir bientôt traduites en français


Titre : Le dernier loup-garou (The Last Werewolf,2011)
Auteur : Glen Ducan
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Michèle Charrier
Couverture : Plainpicture/Lenz
Collection : Lunes d’Encre
Site Internet : blog de la collection
Pages : 357
Format (en cm) : 14 x 20,5 x 2,4
Dépôt légal : janvier 2013
ISBN : 978-2-207-11044-7
Prix : 22,50 €



Hilaire Alrune
3 janvier 2013


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