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Comme un cadavre
Pierre Stolze
Armada, science-fiction / fantastique, 350 pages, janvier 2012, 18€

Cela fait bien des générations que la Confédération ne s’intéresse plus à la planète Echo, pourtant peuplée d’humains. Mais, dans les archives informatiques, un jeune archéologue féru d’architecture ancienne se passionne pour cet astre lointain. Car, sur Echo, il apparaît que des bâtiments relatifs à toutes les religions ont été construits en des endroits ne répondant à aucun plan logique, certains perdus dans les déserts ou les montagnes, d’autres au contraire rassemblés en un délire architectural foisonnant. De surcroît, tous apparaissent comme des copies conformes de ce que furent leurs équivalents sur l’ancienne planète Terre. Cette énigme fascinante l’entraîne à se rendre en personne sur la planète Echo, où il entend bien comprendre à quoi rime une aussi prodigieuse collection d’édifices.



La technologie n’est guère développée sur Echo, et c’est à cheval et à ses risques et périls que l’on se déplace dans les montagnes neigeuses pour y visiter une cathédrale perdue au milieu de nulle part. Déjà, des assassins peu chanceux, retrouvés passablement refroidis, semblaient bien être aux trousses de l’arrivant dont l’origine extraplanétaire est bien vite devinée par beaucoup. À Ellenstein, où il cherche à percer le secret d’un colossal regroupement d’édifices, tout le monde ne semble pas lui vouloir que du bien. Et dans le lointain royaume de Turfanie, où il se rend à dos de mulet, d’autres dangers encore le guettent. Et bientôt de nouveaux éléments le perturbent : car, dans ses rêves tout d’abord, puis prenant place peu à peu dans sa vie éveillée, d’étonnantes visions boudhistes, à la fois effrayantes et truculentes, l’assaillent.

Les individus qu’il rencontre, et même ceux qui sont censés le guider, ne lui facilitent à vrai dire guère les choses. Gregorio, le bedeau latiniste, Goibniu, le forgeron hermétique, Lichtenberg, la « bravache galonnée », Drukpa Kunley, le gourou flatulent, Han-Sha, l’ascète aux allures de phasme, Shakti l’ancienne prêtresse de Kali, et même la splendide Circé : tous ont des révélations à lui faire, mais, tous ont également des choses à lui cacher. Et nombre d’entre eux ne sont pas sans se moquer de cet extramondain certes détenteur d’une tout autre technologie, mais surtout bien naïf à leurs yeux. C’est donc dans un univers de faux-semblants, de façades et de décors, aussi bien humains qu’architecturaux, que notre héros s’aventure.

Une accumulation de faux-semblants telle que le jeune archéologue finira par ne plus savoir si son présent est celui d’un vivant ou d’un mort. Quant à un très hypothétique futur, l’un de ses compagnons lui apprendra que « l’avenir est semblable à un grouillement de fœtus innombrables, jamais certains, recroquevillés dans les rêves troubles de divinités chamailleuses.  » Mais quelle peut bien être la marge entre le réel et le rêve, et, au sein du monde éveillé, plusieurs réels ne pourraient-ils pas coexister ? Arthur Evans oscille alors, d’une certaine manière, dans un univers évoquant à la fois ceux de Philip K. Dick et de Roger Zelazny. Mais, malgré cette interrogation fondamentale, les aventures picaresques et parfois médiévales occupent le devant du tableau.

Si la quête du jeune archéologue est dominée par la coexistence et la rivalité de cultes divers, les références de « Comme un cadavre  » ne relèvent pas exclusivement du registre des mythes et des religions, et les classiques de la science-fiction française ne sont pas oubliés. Ainsi Antinéa et d’autres éléments évoquent-ils « L’Atlantide » de Pierre Benoit, « Le Grand Secret » souvent cité ne peut que faire penser au classique éponyme de René Barjavel, et la découverte d’antiques défunts porteurs de masques d’or fait sans doute allusion, outre à des découvertes historiques, à « La Nuit des temps » du même René Barjavel.

Nous n’en dirons pas plus pour ne pas dévoiler au futur lecteur une issue et des péripéties qui sont également, pour Pierre Stolze, des hommages à ses illustres prédécesseurs. Mais si l’intrigue, un peu à l’ancienne, est plaisante, l’intérêt majeur de ce récit réside dans sa prose, tantôt style classique et tantôt verve rabelaisienne, et dans la richesse de vocabulaire associée.

On est en effet, sur le plan de l’écriture, nettement au-dessus du lot commun de la littérature de genre. Pierre Stolze s’en donne à cœur joie dans les descriptions architecturales et ornementales qui constituent contreforts et piliers de l’ouvrage ; le riche lexique technique est abondamment mis à contribution, et l’auteur, même s’il montre une tendance immodérée à l’accumulation d’adjectifs, parvient à éviter l’écueil du systématique ou de la trop grande lourdeur. Mais c’est tout au long du volume, et dans bien des registres différents, que l’amoureux des mots fera des trouvailles comme, certes, les murs gouttereaux ou la pandiculation, mais aussi des verbes comme pourpenser ou clapir, ou encore des termes comme le subitisme ou la stichomythie. Des mots pas toujours faciles à placer dans la conversation quotidienne, mais un régal pour l’amateur de la langue française qui fera ici une belle moisson.

Notons, pour finir, qu’en dépit de quelques coquilles la réalisation de l’ouvrage est particulièrement soignée. Les dimensions 13 x 20 de ce volume apparaissent comme le juste milieu entre le poche et le grand format. Imprimé sur un épais papier qui confère à l’ensemble une densité et un poids respectables, ce livre apparaît donc également comme un bel objet.


Titre : Comme un cadavre
Auteur : Pierre Stolze
Couverture : Michel Borderie
Éditeur : Armada
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 350
Format (en cm) : 13 x 20,3 x 2
Dépôt légal : janvier 2012
ISBN : 979-10-90931-04-6
Prix : 18 €



Pierre Stolze sur la Yozone :
- La chronique de « Isidore et la Pharaonne »
- La chronique de « Isidore et le premier empereur »


Hilaire Alrune
26 décembre 2012


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