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Culte des Goules (Le)
François Honoré de Balfour, Comte d’Erlette, et Antoine Téchenet
Mnémos, collection Ouroboros, fantastique / apocryphe, 117 pages, novembre 2012, 24€

Les amateurs de Lovecraft connaissent tous l’histoire. Par amitié pour l’écrivain August Derleth, le maître de Providence aurait inséré dans sa liste d’ouvrages maudits, certains réels et d’autres nés de son imagination fertile, le fameux « Livre des Goules » de François Honoré de Balfour, comte d’Erlette. Mais si cette homophonie n’était qu’un leurre ? Si ce clin d’œil n’en était réellement pas un ? C’est ce que laisse entendre Antoine Téchenet, qui aurait mis la main sur cet ouvrage que l’on croyait fictif, que l’on croyait perdu. « Je suis tombé sur une des éditions imprimées qui n’a pas été détruite », déclare Antoine Téchenet à qui veut bien l’écouter. L’ouvrage était « dans un état assez décati » mais il est « blasphématoire » , il décrit des choses « indicibles, abominables » et pour finir « livre l’humanité en pâture à des déités qui lui veulent du mal »



Une préface en forme d’avertissement

Dans sa préface, le lecteur est averti par le Comte d’Erlette que ce live est « enduit d’un venin qui fera moult fois vaciller la flamme de son esprit  » et qu’il doit savoir que « cette ombre destinée est aussi la sienne, et que son devoir sera alors d’avertir l’univers des Ténèbres vicieuses qui l’entourent au prix de son âme  ». Car si « Le Culte des Goules » est un ouvrage maudit, sa raison d’être, lorsqu’il fut écrit par Honoré de Balfour, n’était nullement de répandre une série de malédictions, mais bel et bien de se prémunir contre un mal absolu. Cet ouvrage constitue, aux dires de l’auteur, « un simple tocsin dans la nuit, un appel aux honnêtes hommes pour s’allier et combattre  », un mal contre lequel il n’est possible de lutter que si l’on est capable de le reconnaître. Cet ouvrage, que son auteur conseillait de ne jamais lire sans avoir une bible à la main, n’en demeure pas moins dangereux.

Trente-six chapitres consacrés aux goules, aux hommes et aux dieux

Daoloth, Nodens, Tlatloc, Quethrolous, la cité d’Ar Yeh F’t’uhg où vivent les shoggoths, celle de R’lyeh, celle de Quafioth, Kadath, la pyramide chthonienne de C’Zluh Lieh, les épidémies de naissances de nourrissons palmés, le Dieu des interstices, les Sh’yalis, le Nécronomicon, le Micoaz ou « Livre de la mort imminente » découvert par l’Abbé Guibourg, la terrible machine de cuivre du Surian, les grands Anciens, Cthulhu et ses avatars : on reconnaît là des éléments tirés de mythes lovecraftiens et/ou des jeux afférents, mais aussi originaires d’autres fictions (les amateurs de Robert Chambers retrouveront la mythique cité de Carcosa) ou encore inventés de toutes pièces (ou simplement révélés au monde par le Comte d’Erlette). En sus de ces éléments, on trouve dans ce « Livre des Goules » beaucoup de l’histoire des hommes : leurs propres dieux, par exemple ceux de la mythologie grecque, mais aussi les Aztéques, la Hongrie et ses vampires, les Indes et Kali, les Antilles, etc. C’est donc dans une sorte de revisitation de l’histoire humaine à travers le prisme de l’histoire des goules et des mythes lovecraftiens que nous entraîne peu à peu Antoine Téchenet.

Audacieux, ce pari d’envergure ne manquera pas de faire lever quelques bras au ciel. Car si l’idée de suivre en parallèle hommes et goules au fil des siècles apparaît licite en regard de leur nature et de leurs liens fondamentaux, il n’en va pas forcément de même avec les autres éléments étudiés. Les puristes ne manqueront pas de souligner les assimilations des dieux de nos mythologies classiques aux entités lovecraftiennes. On aura beau jeu de faire remarquer que les dieux des hommes, vis-à-vis des éons depuis lesquels règnent les dieux lovecraftiens, n’ont pas l’ancienneté suffisante pour pouvoir leur être simplement comparés. De même en ce qui concerne l’espace : nos petits Dieux régnant sur de simples territoires terrestres n’apparaissent guère que comme du menu fretin par rapport aux immensités cosmiques appréhendées par le maître de Providence. Et l’idée que ceux-ci aient pris le masque de ceux-là aurait plutôt tendance à les rendre moins terrifiants. L’histoire des Grands Anciens et de ceux qui les dominent apparaît trop vaste pour être mesurée à l’aune des hommes.

Il en va de même avec l’histoire des horreurs et des atrocités perpétrées par les humains eux-mêmes. Les sacrifices de masse aztèques, les crimes immondes dus à des personnages tels que Gilles de Rais ou la comtesse Bathory, pour ne citer que quelques-uns de ceux mentionnés par François Honoré de Balfour / Antoine Téchenet, s’ils ne manquent pas de faire frissonner, sont sans commune mesure avec cette horreur sacrée, ce caractère indicible, incommensurable propre aux entités lovecraftiennes. Les abjections exercées par les hommes n’apparaissent pas d’une envergure comparable à celle des abominations cosmiques imaginées par Lovecraft, et l’on a en définitive l’impression que la cohérence que l’auteur cherche à créer entre elles ne fonctionne pas toujours, que ces deux types d’horreur, appartenant à des registres différents, ne viennent pas vraiment se potentialiser.

« No esta muerto lo que eteranmente duerme, y en paso de los eones, aun puede morir la misina muerte » (inscrit sur les marges du Micoaz par Don Jose de Salamanque)

Même si tout ne fonctionne donc pas au fil de ces chapitres, l’ouvrage est suffisamment dense, suffisamment fourni pour que le voyage en vaille la peine. Il est certes toujours périlleux pour un auteur de chercher à s’inscrire dans la mythologie de Lovecraft  ; mais il est aussi toujours agréable pour un lecteur de retrouver sous d’autres plumes des éléments créés par un écrivain qui a été l’un des grands fondateurs des littératures de l’imaginaire. Et si l’on ressort de ce livre indemne, malgré les terribles formules magiques rencontrées au passage, au moins n’aura-t-on pas subi le terrible destin, décrit dans ces pages, que le sort réserve à un imprudent traducteur du Nécronomicon

Le pire est à venir

Si les chapitres XXXXVII et XXXXVIII ne sont plus imputés à François Honoré de Balfour, Comte D’Erlette, mais écrits, sur arrière-fond de texte latin, de la main même d’Antoine Téchenet, ils ne sont pas entièrement rassurants pour autant. On pourra leur reprocher dans un premier temps une certaine superficialité dans l’analogie – nos sociétés omnimercantiles, pour abominables, monstrueuses et aliénantes qu’elles soient, tiennent tout de même difficilement la comparaison avec les horreurs lovecraftiennes qui s’étendent sur des éons et des étendues cosmiques – mais on ne manquera pas de trembler lorsqu’il nous apprendra, alors que l’on croyait sortir indemne de l’ouvrage, que nous avons, sans le savoir, succombé durant la lecture à « la servitude des âmes  ». Et pour ceux que cela pourrait consoler « Tous tes semblables vont en pourrissant vivants vers l’abattoir des Dieux. Toi, tu es conscient de ton rôle de nourriture divine »

Un ouvrage à offrir

Il s’en trouvera sans doute parmi les puristes de Lovecraft, nous l’avons écrit plus haut, pour décrier cet ouvrage. Mais si en effet certains choix peuvent être discutés, force est d’admettre que l’auteur n’a pas rechigné à la tâche, s’est attelé à un travail d’envergure, et que la lecture – non pas d’affilée, dans la mesure où il n’y pas de véritable trame narrative, mais de façon discontinue, de préférence dans l’ordre des chapitres – peut se révéler intéressante pour l’amateur du genre : une sorte de jeu de piste pour deviner ce qui ressort de l’histoire humaine et de ses mythes, des fictions liées à l’œuvre lovecraftienne, ou encore d’autres sources, littéraires, graphiques ou ludiques, en relation avec la fiction – sans compter l’imaginaire propre à l’auteur. On aura donc tout intérêt à faire de cet ouvrage une lecture méthodique, méticuleuse, active, au terme de laquelle on aura beaucoup appris – à condition, toutefois, que la raison du lecteur ne soit pas détruite par de hideux secrets révélés en chemin.

Outre cet intérêt, « Le Culte des Goules » apparaît, pour un prix somme toute modique, comme un beau livre à offrir aux amateurs du genre en ces périodes de fêtes. D’un format respectable, sous une couverture évocatrice de Kerem Beyit, imprimé sur un épais et confortable papier recréant marbrures et tavelures d’époque, il est en sus agrémenté de nombreuses gravures que l’on imagine anciennes. Nous ignorons si elles ont été créées pour l’occasion ou reprises d’anciens ouvrages – on pensera en particulier au traité d’Ambroise Paré, « Des Monstres et Prodiges », ou aux « Histoires prodigieuses » de Boaistuau – mais les essais des siècles passés dans lesquels on peut glaner de tels types d’illustrations sont légion.
_ Notons, pour finir, que la période est propice à de telles lectures. Car en effet ceux qui attendaient avec ferveur cette apocalypse que l’on nous promettait pour le 21 décembre et qui finalement n’a pas eu lieu pourront se consoler avec ce volume ; Ils y trouveront sans doute matière à de nouveaux frissons, et une fois encore la promesse d’horreurs futures.

Note du Rédacteur en Chef  : nous restituons ci-dessus le recensement du « Culte des Goules  » tel qu’il nous a été communiqué par notre chroniqueur peu après sa lecture. Il semble toutefois qu’il n’ait pas pris la pleine mesure de la dangerosité de l’ouvrage et l’ait considéré, par un fourvoiement tragique, comme un apocryphe contemporain destiné aux rôlistes ou aux amateurs de fiction. À l’heure où nous nous apprêtons à mettre cette chronique en ligne, nous apprenons que d’étranges phénomènes ont été constatés autour de son domicile et que ses voisins l’ont vu, échevelé, dans une nuit biffée d’éclairs, courir en pleine tourmente en direction de la forêt en criant « Al Azif ! Al Azif ! Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn !  » L’ouvrage, abandonné sur son bureau, nous a été renvoyé par sa famille qui semble-t-il ne l’a feuilleté qu’avec la plus grande répugnance. Nous cherchons actuellement au sein de notre équipe un second chroniqueur pour en faire une lecture plus rigoureuse, mais nul parmi nous ne s’est encore porté volontaire.



Titre : Le Culte des Goules
Auteur : François Honoré de Balfour, Comte D’Erlette, et Antoine Téchenet
Couverture : Kerem Beyit
Éditeur : Mnemos
Collection : Ouroboros
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 114
Format (en cm) : 24,5 x 30,5 x 1,4
Dépôt légal : novembre 2012
ISBN :
Prix : 24 €



Hilaire Alrune
21 décembre 2012


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