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Béhémoth
Peter Watts
Fleuve Noir, traduit de l’anglais (Canada), science-fiction/thriller, 497 pages, novembre 2012, 24€

Dans un avenir proche, l’humanité a résolu ses problèmes énergétiques en allant chercher ses sources d’énergie au fond des mers. Dans l’une de ces stations, située à trois mille mètres sous la surface, elle a installé une bande de psychopathes génétiquement modifiés, capables de travailler sous l’eau, pour exécuter les tâches ancillaires. Mais ces individus, pas tout à fait humains, ont fini par remonter à la surface un micro-organisme d’un genre nouveau, Béhémoth, qui n’a pas tardé à décimer l’humanité. Confronté à ce problème, un gel intelligent, destiné à assister les processus de décisions humaines, a commencé à prendre des initiatives discutables. Pour éviter la suppression de toute vie autre que celle du nouveau micro-organisme, les autorités décident de contrecarrer ses avancées en stérilisant ses zones d’implantation à l’arme nucléaire, faisant par nécessité des millions de victimes. Voilà donc ce que racontaient « Starfish » et « Rifteurs », dont « Béhémoth » constitue à la fois la suite et la fin.



Une structure en deux temps

L’intrigue se déroule en deux temps successifs. Le premier décrit les incompréhensions et les conflits marquant la difficile cohabitation entre une soixantaine de « rifteurs », déviants humains modifiés pour survivre aux grandes profondeurs, et quelques centaines de « sécheux », humains classiques à l’origine des recherches ayant involontairement abouti à la pandémie ravageant la planète. Alors que tous sont réfugiés dans et autour d’une station sous-marine indétectable depuis la surface par quelque procédé que ce soit, la découverte de robots d’exploration sous-marins les persuade que ceux qui les recherchent pour les anéantir sont sur le point de les retrouver. Deux rifteurs, Lenie Clarke et son ami Lubin, prennent alors la décision de remonter à la surface, où ils ne se sont pas rendus depuis plus de cinq ans, pour essayer de sauver la station en localisant et neutralisant ceux qui les traquent. Commence alors le second temps du récit, une série d’aventures qui leur fera découvrir, après avoir repris pied au Canada, que les choses ont bien changé. Que Béhémoth serait peut-être supplanté par un Béhémoth-Max, contre lequel il n’existe cette fois-ci nul remède. Que les substances avec lesquelles d’autres nations bombardent le continent nord-américain restent bien mystérieuses. Eu qu’au sein des responsables chargés de veiller à la survie de l’humanité pourraient bien se dissimuler quelques individus aux desseins contraires.

Des défauts indiscutables

Si l’intrigue globale est intéressante, si la trame générale de l’intrigue aurait pu faire de « Béhémoth  » un roman estimable, force est d’admettre que la légèreté avec laquelle l’auteur tisse son scénario, que l’accumulation de maladresses auxquelles il se laisse aller viennent hélas lui ôter bien du crédit. Il serait difficile, et sans doute inutile, de lister ici toutes les incohérences qui émaillent ce roman. Il est, par exemple, totalement invraisemblable que l’hypothèse d’une manipulation en laboratoire de Béhémoth ne puisse apparaitre dans l’esprit des protagonistes que cinq ans après le début de la pandémie. On comprend mal alors que de nombreuses structures high-tech tiennent encore, que le remède à Béhémoth ne puisse être produit qu’au compte-gouttes, et ceci d’autant plus – autre invraisemblance – qu’un simple camion destiné à dispenser aux plus démunis, dans les ruines urbaines, des soins à la fois basiques et ouvertement inefficaces, soit équipé non seulement d’une panoplie d’armes high-tech lui donnant la puissance de feu d’un destroyer, mais également de séquenceurs génétiques et d’autres instruments biotechnologiques de pointe. On s’étonnera de ce qu’un rifteur qui n’a pas mis les pieds à la surface ni n’est entré en contact avec quiconque depuis des années conserve un réseau de contacts particulièrement actifs, et les artifices grâce auxquels il se refourgue en matériel relèvent de ressorts scénaristiques si grotesques qu’ils ne manqueront pas de faire tiquer même les lecteurs les moins exigeants. En ce qui concerne l’écriture – passons sur la répétition métronomique des « bien entendu », particulièrement horripilante – on admettra que quand un William Gibson au sommet de son art décrit à la fin de « Neuromancien » un ninja devenu aveugle, cela fonctionne, mais lorsqu’un Peter Watts, qui n’entre pas précisément dans la même catégorie, met en scène l’assaut du complexe fortifié par un rifteur privé de ses yeux, l’invraisemblance est telle que cela tourne à la caricature (les cinéphiles ne manqueront pas de penser, dans un registre spaghetti, à Johnny Depp en flingueur fou aux yeux crevés dans « Desperado 2) » et vient plomber, si l’on peut dire, un final classique.

Autre reproche, et non des moindres, l’idée de décrire en parallèle le parcours d’un psychopathe dans ses moindres détails. Cette intrigue parallèle non seulement n’apporte rien à l’histoire (« L’Ombre du Shrander » de M. John Harrison, souffrait exactement du même défaut), mais en sus vient déséquilibrer le propos en atténuant, par ses aspects sanglants, les souffrances des populations abandonnées à elles-mêmes – des populations privées de tout, qui représentent désormais l’essentiel d’une Amérique du Nord ravagée, laquelle n’apparait finalement, si l’on excepte une mince poignée de personnages nécessaires à l’intrigue, que comme une toile de fond vaguement peuplée de fantômes. En contrepartie, les scènes de torture gratuite du psychopathe ne font guère qu’évoquer les années post-Hannibal Lecter où il devenait difficile de trouver des fictions sans l’inévitable serial-killer de service. Tout ceci apparaît bien racoleur, bien inutile, et ne fait guère que déséquilibrer le roman. Un défaut d’autant plus impardonnable que ces actes individuels ne viennent pas renforcer, mais au contraire atténuer la monstruosité planétaire de ce personnage, qui n’avait aucunement besoin de ces ajouts maladroits.

Une lecture facile

On a pu lire ici et là que Peter Watts écrivait de la « Hard-Science ». Il n’en est rien. Il ne suffit pas d’appeler un chat Mandelbrot ou de faire allusion à la théorie des catastrophes de René Thom pour donner le change. Il apparaît à la lecture, une fois de plus, que l’auteur ne dispose pas d’un « background » suffisant. Il habille ses intrigues d’un très mince vernis de science pour leur donner une caution scientifique, il reprend ici et là des thématiques utilisées par d’autres auteurs. Par exemple, son idée de Trip culpabilité comme verrou mental et son antagoniste Spartacus, si elle est intéressante, reste assez superficielle, et les modifications auto-induites du psychisme des rifteurs n’apparaissent guère que comme un très pâle démarquage de l’extraordinaire nouvelle « Des raisons d’être heureux » de Greg Egan, écrit en 1997. Quant aux analogies entre mécanismes informatiques et biologiques, elles sont dans ce récit particulièrement simplistes. Peter Watts est donc aisément lisible par tous. Encore pour être intelligible faudrait-il qu’il bénéficie d’une traduction adéquate – on s’étonnera à ce sujet, au chapitre « Valeurs familiales », d’un incompréhensible « effet de bord » qui correspond manifestement à une traduction mot à mot du terme « side-effect », qui ne signifie rien d’autre qu’« effet indésirable ».

Un thriller mouvementé

Si « Béhémoth » ne génère pas d’enthousiasme, force est néanmoins de lui reconnaître certaines qualités. Il est, tout d’abord, indiscutablement meilleur que le premier volume des aventures de Lenie Clarke. La psychologie superficielle et basique, assénée au lecteur à la truelle dans « Starfish », est ici plus modérée. On ne peut dénier à « Béhémoth » une intrigue prenante et tendue, de nombreux rebondissements et retournements de situation, avec une accélération progressive du rythme sur la dernière partie et un finale façon film d’action hollywoodien. Ce roman lisible par tous devrait donc plaire aux amateurs de récits de catastrophes et de thrillers teintés d’anticipation, voire même aux amateurs de thrillers tout court. Pour finir, signalons que « Béhémoth » a été publié initialement en langue anglo-saxonne en deux volumes, « Béhémoth B-Max » et « Béhémoth-Seppuku. » Alors que les éditeurs, à la traduction, ont le plus souvent tendance à scinder artificiellement les gros « pavés » en plusieurs ouvrages, Fleuve Noir a retenu ici l’option inverse et offre à ses lecteurs deux romans pour le prix d’un : une initiative suffisamment rare pour être soulignée.


Titre : Béhémoth (Béhémoth B-Max et Béhémoth-Seppuku, 2004)
Auteur : Peter Watts
Traduction de l’anglais (Canada) : Gilles Goulet
Couverture : Joubert
Éditeur : Fleuve Noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 497
Format (en cm) : 15,3 x 24 x 3,4
Dépôt légal : novembre 2012
ISBN : 978-2265096844
Prix : 24 €



Peter Watts sur la Yozone :
- La chronique de « Starfish »
- La chronique de « Vision aveugle »


Hilaire Alrune
19 novembre 2012


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