Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Coin des Fous (Le)
Jean Richepin
Le Chat Rouge, Pourpre et Or, fantastique, 196 pages, deuxième semestre 2011, 20€

Accompagnés par une intéressante préface de Gérald Duchemin – dont le sous-titre, « La marge comme Eldorado littéraire » pourrait résumer l’esprit de cette collection vouée à la réédition de textes rares - ces vingt-trois récits mettent en valeur les talents de Jean Richepin, auteur et personnage atypique, pour la forme brève. Rencontres étonnantes ou drames insoupçonnés, anecdotes impensables ou prodiges incroyables : le tragi-comique de la condition humaine et des voies et détours du destin, les frôlements inattendus du bizarre, les effarements subits du fantastique.



Disons-le d’emblée : ce volume mérite plus que le détour. Si, sur ces vingt-trois textes écrits entre 1892 et 1900, deux ou trois peuvent être considérés comme ayant quelque peu vieilli, l’impact de l’immense majorité d’entre eux reste entier, à tel point qu’une bonne part de ces nouvelles pourrait être reprise dans des anthologies contemporaines. Et le mériterait. Le style d’époque est un véritable délice pour l’amateur de langue française, et les récits en eux-mêmes – des contes cruels à la Maupassant, mais pas seulement – recèlent d’ineffables surprises.

À travers ces courtes nouvelles, Jean Richepin apparaît comme un esthète de la fêlure et un maître de l’ironie grinçante. Sa plume alerte, mue par une férocité plus amusée et empathique que véritablement froide, le conduit à d’étranges carrefours entre bizarrerie, grotesque, et fantastique. Un léger soupçon de décadentisme, une pincée de cynisme, un humour indiscutable, parfois noir, un sens aigu de la dérision viennent ici et là pimenter l’ensemble, sans oublier un goût prononcé pour les occasions perdues ou ces dramatiques impasses qui seront le destin de bien des personnages.

Crimes impunis, harcèlements étranges, pacte avec le diable, tableaux maudits, miroir maléfique, exotismes effarants, découverte morbide, femme fatale, beauté impossible et laideur à secrets, curiosités neurologiques et contrées mythiques, voilà quelques-uns des thèmes abordés par ces récits. Des airs de déjà-vu, pourrait-on penser. Pourtant, pas – très peu – de poncifs dans ce volume, peu d’histoires rebattues, ni même déjà déclinées : il y a chez Richepin une originalité certaine, comme si l’ange du bizarre était à maintes reprises venu effleurer l’auteur de son aile.

Nous ne saurions rendre ici hommage à chaque nouvelle. En toute subjectivité, nous citerons “Les autres yeux ” , qui nous semble emblématique de ces textes parfaitement maîtrisés qui n’ont pas un mot de trop, et auxquels il n’y a rien à ajouter. Signalons tout de même – car la chose n’est pas banale dans ce registre – un humour particulièrement bienvenu, comme dans “L’Âme double” à qui – même s’il ne s’agit pas d’une nouvelle à chute – la formule finale confère une saveur toute particulière ; ou encore “Le Perroquet”, récit dont l’on devine à l’avance le déroulement, mais dont la transparence n’ôte aucunement la saveur, d’autant plus que le dialogue final lui confère un dernier mot hilarant et inattendu.

Au-delà de ces multiples qualités, Jean Richepin impressionne par son art de conteur et son sens de la concision. En quelques mots, en quelques paragraphes, il parvient à instaurer des ambiances remarquables : boudoirs, salons, boutiques, brouillards, asiles, individus, sont décrits en quelques phrases efficaces. Eux aussi économes, les dialogues posent les personnages à la perfection. Des modèles de brièveté qui, comme l’explique Gérald Duchemin dans sa préface, répondaient alors aux nécessités de la publication en périodiques. Des contraintes dont au vu des résultats l’on ne peut que se réjouir, un calibrage étroit qui est aussi un exemple et qui donne, une fois le volume achevé, l’envie de relire plusieurs de ces nouvelles : non seulement pour goûter une fois encore au style et à l’humour si particuliers de Jean Richepin, mais aussi pour comprendre comment l’on peut en faire autant, et aussi bien, en simplement quelques pages.

Le lecteur le plus pointilleux remarquera dans ce volume quelques imperfections orthographiques qui n’existaient pas dans l’édition Flammarion de 1921. Ainsi par exemple, pour le récit “Le Coffre rouge”, on trouve « la tapis vert », « pierres de lunes » au lieu de « pierres de lune », ou encore « en recourant au procéder classique ». Mais ce ne sont là que d’infimes détails, rapidement oubliés devant la qualité générale de l’ouvrage, imprimé sur papier bouffant et doté d’une jaquette particulièrement élégante.

En rééditant « Le Coin des Fous, » les éditions Le Chat Rouge, dont nous avions précédemment chroniqué le très recommandable roman « La Maison-Livre » de Gérald Duchemin, remettent à disposition du public un ouvrage qui n’était plus disponible depuis sa parution chez Séguier en 1996. Les férus de littérature à la fois fantastique et classique ne pourront que se féliciter de cette réédition : voilà un élégant et passionnant volume qui mérite grandement sa place sur les rayonnages de l’amateur du genre.


Titre : Le Coin des Fous
Auteur : Jean Richepin
Éditeur : Le Chat Rouge
Collection : Pourpre et Or
Couverture : (non créditée)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 196
Format (en cm) : 13 x 20
Dépôt légal : deuxième semestre 2011
ISBN : 978-2-916202-10-5
Prix : 20 €



Les éditions Le Chat Rouge sur la Yozone :
- La chronique de « La Maison-Livre » de Gérald Duchemin


Hilaire Alrune
30 septembre 2012


JPEG - 25.1 ko



Chargement...
WebAnalytics