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Remède à la Mélancolie (Un)
Ray Bradbury
Gallimard, Folio SF, n°429, nouvelles traduites de l’anglais (USA), poésie du passé et de l’avenir, 312 pages, juin 2012, 7,50€


On ne peut échapper à Ray Bradbury. Même sans aimer ou lire de la SF, on le croise tôt ou tard. Mais si sa célébrité en France repose essentiellement sur « Fahrenheit 451 » (et le film qu’en a fait Truffaut) et les « Chroniques Martiennes » au programme des collégiens, il ne faut pas réduire son œuvre à ces deux textes.
J’ai lu « Un Remède à la Mélancolie » il y a une bonne dizaine d’années. Sur la belle et très épurée édition Denoël de 1975. Voir le recueil réédité aujourd’hui comble un manque inadmissible.
Faisons un sort immédiat à la couverture de Bruno Wagner : elle a le mérite de très bien illustrer une des nouvelles (“Le Dragon”, la seule à toucher à la fantasy) et le défaut de ne rien dire des 21 autres. Mais face à la grande variété du recueil, quel choix, autre que celui de l’épure des 2 premières éditions Denoël (1961 et 75) pouvait-on faire ?

Lu il y a donc 10 ans, je me contentai donc de relire le sommaire. Et là, la magie Bradbury commença à opérer. Cinq titres me revenaient déjà clairement en mémoire, gravés avec à la fois force et délicatesse :
la nouvelle éponyme, tout d’abord. “Un remède à la mélancolie” voit le défilé de tous les médecins, rebouteux, bonnes femmes et charlatans au chevet d’une jeune fille atteinte de langueur. Et le remède efficace sera, finalement, bien naturel. Ce premier texte donne un peu le ton du recueil : de l’humour, de la poésie, et un soupçon de magie.
Le Dragon”, fort bref, m’avait ensuite marqué. Deux chevaliers s’en vont vaincre un cruel et mortel dragon... qui n’en est pas un, ainsi que la chute nous le dira, remettant en perspective ce que nous avions pu imaginer en quelques pages. Succulent.
Impossible d’oublier un titre comme “Le splendide costume glace à la vanille”. Six ouvriers mexicains mettent leurs maigres fonds en commun pour s’offrir un magnifique costume, et enfin voir leurs rêves de reconnaissance devenir réalité. Chacun l’aura un jour par semaine. Le premier soir, pressés, chacun a droit à une demi-heure. Et les autres, pendant ces trente minutes, échafaudent mille hypothèses : et s’il ne revenait pas avec le costume ? et quand vient le tour du dernier, le plus maladroit : et s’il abîmait le costume ? On lui fait cent recommandations, on appréhende tout de même... On le file, on détourne les dangers, tout ce qui pourrait tacher le précieux costume... Après un début plutôt drôle, la tension monte crescendo, on se met à craindre nous aussi la moindre tache sur le costume enchanté.
Ils avaient la peau brune et les yeux dorés” pourrait être mis en parallèle avec “La vitre couleur fraise” : tous deux content la vie d’une famille émigrée sur Mars. Mais quand la seconde traite de nostalgie de la Terre, la première parle au contraire d’acclimatation à ce nouveau territoire : le personnage central met en garde ses proches contre l’atmosphère, les produits locaux, qui selon lui perturbent et font changer les Terriens. Refusant de subir l’influence de son milieu, il ne se nourrit que de produits importés de la Terre. Jusqu’à la pénurie, et dans un lent renoncement il change, comme les autres. Mais ce changement est-il un mal ? Non, devine-t-on à la chute.
Terminons sur la fable cruelle de “Et l’été ne dura qu’un jour...”. Sur Vénus, il pleut en permanence. Sauf que c’est aujourd’hui, d’après les savants, que, comme tous les 7 ans, on verra le soleil. Des écoliers, incrédules, enferment une de leurs camarades dans un placard, car elle soutient qu’il s’arrêtera bien de pleuvoir. Et le miracle a bien lieu, le temps de quelques minutes, avant que ne retombe pour sept longues années le rideau permanent de la pluie. Et ce n’est qu’alors qu’ils pensent à délivrer la petite fille, qu’ils auront privée de ce bref soleil auquel elle croyait. Peut-être, à mon goût, l’un des plus beaux textes de Bradbury.

N’en déduisez pas que le reste est en deçà. Bien au contraire, on serait en peine de retrancher l’une ou l’autre histoire de ce recueil (ce ne sera qu’une affaire de goût, le mien m’éloignant de la littérature générale). Mais elles ont nécessité une nouvelle lecture pour me revenir en mémoire. On appréciera les deux escapades irlandaises très drôles narrées dans “Le premier soir de Carême” et “La collision mémorable de lundi dernier”, où l’on a presque l’impression de sentir le vécu de l’auteur !

Beaucoup d’histoires ne relèvent que très vaguement du genre, mais s’appuient plutôt sur un contexte soit futuriste soit légèrement fantastique. Ainsi de “La fin du commencement” sur l’ouverture de la route vers l’espace, et “Le cadeau” marque en quelque sorte la banalité de la génération suivante. Côté fantastique, un petit garçon se sentira (à juste titre ?) envahi et dépossédé dans “Le rêve de fièvre”, un homme s’enfuira dans son passé, ne laissant derrière lui que “L’odeur de la salsepareille”, enfin, deux amis verront leur train-train quotidien chamboulé par une étrange découverte dans “Coucher de soleil sur la plage”. Le texte le plus singulier est sans doute “Les petites souris”, plutôt troublant.
Quant au reste... commencer à en parler serait entacher le plaisir de la première lecture, chose que j’ai déjà suffisamment fait, pardonnez-moi.

Un recueil indispensable, à (r)ouvrir de temps à autre pour se laisser bercer par la poésie de Bradbury, un inaltérable classique à découvrir et faire découvrir aux plus jeunes.


Titre : Un remède à la mélancolie (a medicine for melancholy, 1959) (22 nouvelles de 1948 à 1959)
Titres des nouvelles :
- Un remède à la mélancolie
- Par un beau jour d’été
- Le dragon
- La fin du commencement
- Le splendide costume glace à la vanille
- Le rêve de fièvre
- Le raccommodeur de ménages
- La ville où personne n’est descendu
- L’odeur de la salsepareille
- Icare Montgolfier Wright
- Le casque
- Ils avaient la peau brune et les yeux dorés
- Le sourire
- Le premier soir de Carême
- L’heure du grand départ
- Et l’été ne dura qu’un jour...
- Le cadeau
- La collision mémorable de lundi dernier
- Les petites souris
- Coucher de soleil sur la plage
- La vitre couleur fraise
- Le jour où la pluie tomba
Auteur : Ray Bradbury
Traduction de l’anglais (USA) : Jacqueline Hardy pour Denoël, 1961
Première édition française : Denoël, Présence du futur, n°49, 254 pages, 1961

- Présente édition (5e en date, cf BDFI.net)
Couverture : Bruno Wagner - Yayashin
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 312
Format (en cm) : 18 x 11 x1,7
Dépôt légal : juin 2012
ISBN : 978-2-07-044738-1
Prix : 7,50 € (F8)


Chipotons un peu pour finir : il reste une dizaine de coquilles (dont certaines déjà présentes dans mon exemplaire de 1975, et d’autres toutes neuves), et l’on regrettera l’absence des titres originaux des nouvelles (une lacune qu’on pourra combler sur BDFI.net)

CITRIQ


Nicolas Soffray
9 septembre 2012


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