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Corbeau (Intégrale)
Patricia Briggs
Milady, Fantasy, roman (USA), fantasy, 874 pages, décembre 2011, 11€

Dans l’Empire. Tiër, revenant de la guerre, sauve une jeune fille, une sorcière Voyageuse, d’une foule en furie qui a déjà immolé son frère. Car les Voyageurs, peuple errant, n’ont pas bonne réputation. De retour chez lui, avec la jeune Séraphe, Tiër constate une nouvelle fois comment les préjugés peuvent changer des gens bons en foule aveugle et cruelle. Aussi fait-il d’une pierre deux coups en épousant la jeune femme, la sauvant une seconde fois tout en échappant à la vie qui l’attendait.

Vingt ans plus tard, fermiers, parents de 3 enfants, la vie n’est pas facile mais heureuse. Séraphe a tourné le dos à son passé et son peuple, sans remords. Mais constamment ce passé lui est rappelé : les mermori, artefacts enchantés des clans Voyageurs, vestiges de leur vie passée à Colossaë, ne cessent de venir à elle, signifiant l’éradication complète de leur clan d’origine. Et tandis que la magie était chichement distribuée lors de la naissance d’un Voyageur, chacun de ses enfants appartient à un Ordre : la petite Rinnie contrôle le temps, son cadet est Chasseur, quant à l’aîné, il abrite une part d’ombre, le terrifiant et sauvage Gardien. Même son époux, pourtant non-Voyageur, semble béni du don de la musique, réservé aux Bardes...

Lorsque celui-ci ne revient pas de sa saison de chasse, Séraphe est persuadée qu’il n’est pas mort, mais a été enlevé. Son enquête va la mener jusqu’à la capitale impériale, où elle va découvrir qu’une mystérieuse organisation, en plus d’éradiquer les Voyageurs, tente de dérober leurs Ordres. Et il se pourrait qu’un Ténébreux, un homme dévoré par le pouvoir du mal, soit à l’origine de tout cela...



Après avoir publié « Aile de Corbeau » et « Serre de Corbeau » en deux volumes, Milady les réunit en un seul format poche, sobrement intitulé « Corbeau ». Presque 900 pages, écrit m’a-t’il semblé tout petit (malgré « seulement » 35 lignes par page, soit dans la norme), c’est le type même de livre que j’adore et que je hais à la fois : l’impression de ne pas avancer, soir après soir ; la crainte de casser le dos, qui signifie ensuite un livre intenable... Voilà pour mes griefs, qui ici se sont évaporés : le dos assez souple, pour peu qu’on fasse attention, n’a pas rompu. Quant à la taille des caractères... la qualité de la prose de Patricia Briggs ferait lire avec une loupe.

Avec cette duologie, on est loin des page-turners (ouh le vilain anglicisme) aussi vite lus qu’oubliés. Le texte est dense, mais dans un style fluide, sans redites perpétuelles destinées à raviver la mémoire des lecteurs du dimanche (non, je ne repense pas du mal des « Aventuriers de la Mer » de Robin Hobb). Les chapitres ne sont pas une légion d’amaigris, mais alignent facilement 40 pages. Pour preuve, l’introduction (que je vous ai allègrement résumée dans le premier paragraphe ci-dessus) prend 2 chapitres, soit les 80 premières pages !

Et dès la seconde partie, on commence sur des chapeaux de roues, tandis que Séraphe entre en possession de nouveaux mermori, ces témoins du passé des Voyageurs, copies magiques de leur demeure à Colossaë, la grande cité qu’ils ont dû sacrifier pour stopper le Traqueur, une entité divine destructrice. On apprendra au fil du roman la mission des Voyageurs : lutter, à l’insu du reste des habitants de l’Empire, contre les émanations du Traqueur, ces êtres dévorés par le mal et la magie qui deviennent des Ténébreux. L’un d’eux, le Roi Innommable, dont la légende est célèbre, a d’ailleurs failli détruire l’empire. Voici pour les grandes lignes.
Car Séraphe, en dépit de son statut de Corbeau-Mage (à chaque Ordre est associé un oiseau), n’est pas la dépositaire de toutes les connaissances sur les Voyageurs : une peste ayant fait des ravages quelque temps plus tôt dans l’Empire, son clan s’est soudain réduit à son frère et elle. Si son mentor a eu le temps de faire d’elle une Mage puissante, vivre hors de son peuple la prive des connaissances séculaires.

L’un des grands axes de « Corbeau » est la relation des Voyageurs avec le reste des gens, les “solsenti” comme ils les appellent. Toute ressemblance dans le fond comme la forme avec le peuple gitan (que nous appelons de nos jours pudiquement « Gens du Voyage ») sautera immédiatement aux yeux : les Voyageurs sont craints, accusés de tous les maux, boucs émissaires évidents alors même qu’ils œuvrent au contraire à la protection des non-Voyageurs, luttant contre un mal que leurs ancêtres ont libéré, et que tout un peuple s’est fait le sacerdoce rédempteur de combattre, malgré les brimades et les humiliations, voire la mort.
Certes, on rencontre des gens ouverts d’esprit, comme Tiër et quelques autres (comme Karadoc, le vieux prêtre « animiste » du village), mais il faut du temps et des efforts à Séraphe pour se faire accepter dans la communauté, et encore, pas par tous : sa belle-sœur restera, jusqu’à un évènement du niveau « tu m’as sauvé la vie », sa plus farouche ennemie.
Comme on le découvrira au fil des pages, les Voyageurs eux-mêmes n’œuvrent pas forcément pour être mieux acceptés, à l’image de Benroln qui monnaye sa magie auprès des crédules, les « libérant » d’un sort qu’il a lui-même lancé.

Le premier volume, « Aile de Corbeau », voit donc Tiër enlevé et retenu par une organisation, le Chemin Secret, que Séraphe découvre simultanément sous l’apparence d’une église qui loue des divinités inspirées des Ordres. Y voyant un dévoiement de la culture des Voyageurs, et surtout une rupture du secret des Ordres, la magicienne va y fourrer le nez, craignant que sous cette façade se trame bien pire.

Nous sommes dans de la fantasy épique, je vous laisse donc découvrir les détails de la suite : la libération de Tiër et l’aventure qui s’ensuit dans « Serre de Corbeau » pour mettre une fin définitive aux agissements du Ténébreux. Patricia Briggs réussit, par une habile réflexion, à justifier parfaitement l’importance de cette famille bénie par la magie. Elle nous fait voyager dans un monde qui pourra paraître, pour le peu qu’elle nous en montre, assez terne en regard du passé que les personnages cherchent à redécouvrir, comme la magnificence de Colossaë : la chute de la Cité des Mages a comme rappelé l’humanité à plus de modestie, et effacé un pan de savoir et de progrès, jugé dangereux.

La famille est au cœur de cette histoire, et si l’avenir du monde leur importe, chacun pense d’abord aux siens. Séraphe et Tiër, malgré 20 ans de vie commune, ne sont que trop conscients de leurs différences, et le Barde craint, dès le début de « Serre de Corbeau », que son épouse n’ait repris goût à la magie et veuille repartir sur des routes où il ne pourra la suivre. Chacun des parents est prêt à se sacrifier pour leurs enfants, jusqu’à la dernière seconde et l’affrontement final face au Ténébreux.
Des enfants qui ne sont pas sans ressources.
Jës, l’aîné, porte le plus lourd fardeau : un peu lent d’esprit, très empathique, il abrite l’Ordre de l’Aigle, le Gardien, une créature métamorphe qui inspire -à juste titre- la terreur. Sa double personnalité, et le caractère secret de son Ordre même au sein des voyageurs est au centre de l’intrigue, et de la meilleure compréhension des actes de Jës ou du Gardien viendra une partie de la solution.
Lehr, le Chasseur, peut sembler un tantinet moins intéressant : il est celui sur qui repose la famille en l’absence du père, solide, pragmatique. Ses dons sont essentiellement pratiques, et contribuent à faire de lui peut-être pas un personnage uniquement utilitaire. Tandis que son frère aîné répugne à tuer (contrairement au Gardien), lui considère la mort comme partie du cycle de la vie : et la mort d’un méchant homme lui coûte moins que celle du gibier nécessaire à la survie. Mais encore adolescent, il laisse apparaître des failles de jeune adulte, notamment vis-à-vis des choses de l’amour, piquant des fards lorsque son Ordre lui fait comprendre que certains de ses proches viennent de faire des... choses d’adultes.
Enfin, Rinnie, la plus jeune, et la seule fille, est une chipie avec ses frères. Elle se plaint que son pouvoir, influer sur le temps, ne soit pas si « bien » que ceux de ses frères. Elle se révèlera néanmoins d’une grande aide à sa famille, et une redoutable adversaire, sans forcément l’aide de la magie.

Une très bonne saga de fantasy, suffisamment dense pour s’y plonger, et qui a le mérite de ne pas aligner sans fin les volumes, et d’offrir une fin digne de ce nom après « seulement » 900 pages.


Titre : Corbeau (l’intégrale)
Contient : Aile de Corbeau (Raven’s Shadow, 2004) et Serre de Corbeau (Raven’s Strike, 2005)
Auteur : Patricia Briggs
Traduction de l’anglais (USA) : Joachim Zemmour
Couverture : Anne-Claire Payet
Éditeur : Milady
Réédition de : Aile de Corbeau (mars 2009) & Serre de Corbeau (septembre 2009)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 874
Format (en cm) : 12,2 x 18 x 4,1
Dépôt légal : décembre 2011
ISBN : 9782811206390
Prix : 11 €



Nicolas Soffray
20 janvier 2012


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