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Vanités et autres Curiosités (Les)
Francis Thievicz
Edité par Hérésie.com, nouvelles (France), fantastique décadent, 138 pages, décembre 2011, 10€

Dans le volume précédent, intitulé « Le Miroir Noir et autres Curiosités », nous avions découvert un club atypique, une étrange place « perdue hors du temps et de l’entendement » sur laquelle une taverne à la fois obscure, victorienne et baroque, tenue par un authentique hydrocéphale, apparaissait à la fois comme un repaire d’excentriques, une bibliothèque déviante et un cabinet de merveilles. Une taverne où l’on exhibait d’extraordinaires phénomènes anatomiques, où l’on examinait des mécanismes impensables, où l’on s’extasiait devant d’étranges phénomènes scientifiques. Un « Club de Curiosités » où chaque jeudi se rassemblaient quelques décadents animés par un goût maladif pour l’insolite, et qui était aussi, certains soirs de désœuvrement, le point de départ d’effrayantes expéditions nocturnes. Avec « Les Vanités et autres Curiosités », le visiteur s’en repart, dans ce club et à ses marges, pour un nouveau tour de manège macabre.



Nous retrouvons donc ici la plupart des personnages principaux du « Club de Curiosités ». Le narrateur tout d’abord, souvent effacé, dont on sait qu’il collectionne les crânes et qu’il ne manquerait pour rien au monde les singularités que ce club est capable de lui offrir – par exemple le squelette de Howard, tenancier de sa profession, hydrocéphale de son état, et lui-même membre du club. Le Dr Riviera, ensuite, praticien respectable aux tendances parfois inhumaines et aux prouesses chirurgicales souvent atypiques. Moïse, aux réflexions noires et grinçantes. Le Syphilitique, moribond perpétuel raillé pour une agonie sans fin qui explique sans doute le caractère grinçant et désespéré de son humour. Miss Stiple, décadente et raffinée, dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’elle aime à se vêtir de costumes ténébreux ou victoriens, et qu’elle possède une boutique « qui tient plus du bazar que de l’herboristerie ». Mycroft, investigateur et sagace, un évident frère de Sherlock Holmes. Et enfin Léonard le croque-mort, qui viendrait bien, dans les salles de dissection, disputer au docteur Riviera ses proies encore tièdes.

“... les mines ternies par l’abus de l’absinthe fabriquée maison donnaient l’effet de corps arrachés à leur éternel repos pour peupler bien piètrement une taverne aux allures d’antre macabre.”

Un gourmet anthropophage, un Monsieur Muscle ventriloque et amateur de théâtre macabre, un être mi-singe mi-humain, une plante carnivore, une tête humaine encore vivante montée sur un mécanisme invraisemblable : telles sont les attractions que l’on s’obstine à faire venir au Club de Curiosités. Chacun des membres y va de son imagination, de ses relations, de son obstination, de sa chance, dans l’idée de trouver mieux et pire que son voisin. C’est donc à celui qui dénichera le plus horrible, le plus infâme, le plus étonnant. C’est aussi à celui qui, au lieu de se laisser aller à un bien compréhensible effarement, fera preuve du blasement le plus accompli et du détachement le plus cynique.

Il arrive néanmoins, certains soirs, que ne se profile aucune curiosité. Il faut alors savoir ne pas se consoler trop facilement avec les spiritueux habituels, faire preuve de suffisamment de force d’âme pour résister à la langoureuse tentation du spleen, se motiver, et pour finir se vêtir de pied en cap pour s’en aller quêter l’étrange à travers la ville et ses faubourgs, dans la brume et les lueurs bleutées des becs de gaz.

“Chacun y était allé de sa parure originale : un chapeau à insonorisation, des lunettes opaques, des sucreries narcotiques chargées dans un tube déjà armé en bouche en cas de danger, une dague à double lame, nos canne-épées, des gants de cuivre, un casque de scaphandrier (...)”

Lorsque le club devient par trop soporifique, lorsque nul ne vient y exhiber quelque monstruosité, les comparses s’en vont donc en expédition à travers la ville. Quartiers nocturnes, cimetières, vieux manoirs peuplés d’excentriques ou lieux voués aux dépravations insensées constituent leur ordinaire. Fœtus carnivores, fou noyé dans ses propres portraits, bricoleur dément dont “... la demeure toute entière était destinée à servir les effarantes pulsions créatrices”, combats organisés de vieillards, femme fatale transformant sa victime en moribond au long cours, blagues macabres tournant mal (le très classique, mais néanmoins habile « Magnétisé Monsieur Ramedlav »), rencontres avec une sirène, et globalement de ces découvertes après quoi le retour n’est rien d’autre qu’une « suite ininterrompue de dialogues fanatiques et d’hypothèses exaltées ». Il faut dire aussi qu’en partant pour de nouvelles destinations les membres du club, en bons décadents, se prémunissent d’éventuelles terreurs en partageant de la cocaïne : on ne s’étonnera donc guère, découvertes véritables ou non, qu’en s’en revenant ils se répandent en déclarations radicales telles que “... nulle expérience, aussi spirite ou extra-terrestre soit-elle, ne pourra probablement égaler l’expérience zoologico-mystique que nous avons vécue.”

Les influences : entre le toujours connu et le déjà oublié

Nous avions cité dans notre chronique du précédent volume les influences assez clairement discernables d’individus tels que Guy de Maupassant, Charles Rabou, Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle-Adam, Philarète Chasles, Xavier Forneret, Marcel Schwob ou Léon Bloy, sans compter des auteurs anglo-saxons tels que Conan Doyle, Howard Philips Lovecraft, ou encore Ambrose Bierce – n’oublions pas, par ailleurs, toutes ces petits confréries littéraires de décadents et d’absinthiques à présent tombées dans l’oubli. Aux noms prestigieux cités ci-dessus, ajoutons ceux que mentionne l’auteur à travers les textes de ce second volume : Edgar Allan Poe, Théophile Gautier, Joseph Sheridan Le Fanu et Bram Stoker – pour les amateurs de littérature fantastique, rien que du beau monde.

Les répréhensibles délices de l’immoral

Tout ceci n’a peut-être pas la finesse que l’on pourrait attendre de gentlemen au fond assez britanniques, mais dont le flegme et d’épisodiques accès de distinction ne cherchent aucunement à dissimuler quelques particularités ouvertement revendiquées comme le manque absolu de charité envers leur prochain, un soupçon de cruauté gratuite, et, plus globalement, une tendance à apprécier, à la manière d’esthètes, tout ce qui leur apparaît comme délicieusement immoral.

Au fil de l’ouvrage, la mise en scène de ces personnages atypiques montre certains défauts. L’usage du style « fin-de-siècle » se heurte à quelques écueils, notamment l’utilisation trop systématique et non maîtrisée de l’inversion du sujet et de l’adjectif, qui dissonne souvent à la lecture. Certains textes comme « Decadentia » ou « Herbert » n’atteignent pas leur but, la faute à une écriture insuffisamment disciplinée : l’accumulation désordonnée d’objets ou d’horreurs n’y apparaît en effet que comme une surcharge cosmétique face à l’absence d’histoire, et la difficulté à trouver un ton et un univers visuel ou littéraire cohérents d’où pourraient naître l’horreur ou l’étrange y est évidente. Enfin, l’exercice périlleux qui consiste à faire le funambule sur la limite entre humour noir et mauvais goût, même s’il est pleinement revendiqué par l’auteur, pourra être critiqué par certains. Il arrive qu’au fil de ces nouvelles l’ironie macabre vire à une certaine complaisance morbide, des excès gratuits que seul un style de haute volée serait capable d’amender.

Mais comment juger ? Car la complaisance morbide fut abondamment pratiquée par des poètes, dont le moindre ne fut pas Charles Baudelaire, de nos jours paradoxalement encensés par les bien-pensants qui ne les ont jamais lus. Comment juger ces historiettes de phocomèles catapultés sur une rivière gelée alors que les lancers de nains ont encore cours aujourd’hui, et sont au fond bien moins abominables que les lancers de renards, de marcassins et de chats sauvages à l’aide desquels on se distrayait dans certains pays d’Europe au XVIIème et XVIIIème siècles, et au fil desquels les animaux perdaient immuablement la vie ? Quant à ceux qui, confrontés à ces fictions, se récrieront en stigmatisant l’exhibitionnisme quelque peu morbide des malformations et handicaps anatomiques, nous les renverrons au monde réel, sans nous donner la peine d’aller plus loin que le dernier numéro du National Geographic (National Geographic France, janvier 2012) qui mentionne l’élection, hélas abominablement réelle, de « Miss Mines anti-personnel » au Cambodge. On admet communément que la réalité dépasse la fiction, ce que nous ne saurions globalement confirmer ; mais qu’elle soit immuablement pire ne nous semble par contre faire aucun doute.

Dès lors, il ne faudra pas s’étonner de ce que les deux volumes du tirage de tête de ce recueil aient été « reliés en peau humaine » et que l’ouvrage, comme il l’est précisé en fin de volume, ait été plébiscité par des individus hautement recommandables tels que les lecteurs de Dystrophie Magazine ou les Hydrocéphales monégasques. On murmure d’ailleurs que deux congrégations influentes dans le milieu des Lettres, les Microcéphales du XVIème arrondissement et les Académiciens Dysmorphiques, militent activement pour faire obtenir à cet ouvrage le Goncourt des Analphabètes Unijambistes et le Fémina des Hydropiques.

Les amateurs de tératologies, de récits décadents, de fantastique macabre trouveront donc, sans aucun doute, ces trente historiettes à leur goût. Ils prendront peut-être plaisir à ranger cet abominable volume en compagnie d’autres recueils atypiques, de monographies consacrées aux sciences non-académiques, de manuels d’anatomie ancienne, et de traités tels que « Des monstres et Prodiges » d’Ambroise Paré ou les « Histoires prodigieuses » de Boaistuau. Ils pourront en tout cas, en allant visiter le site éditeur Hérésie.com, faire l’acquisition de cet ouvrage effrayant et diabolique pour la maudite somme de dix euros.


Titre : Les Vanités et autres Curiosités
Auteur : Francis Thievicz
Couverture : Hérésie.com
Illustrations intérieures : Hérésie.com
Éditeur : Une production Hérésie.com
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 138
Format (en cm) : 15,3 x 23
Dépôt légal : décembre 2011
ISBN : 5822276288385
Prix : 10 €



À lire également sur la Yozone :
- Le Miroir Noir et autres Curiosités
- Un entretien avec Francis Thievicz


Hilaire Alrune
17 janvier 2012


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