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Bloody Marie
Jacques Martel
Black Book, à dé couvert, roman (France), pirates de l’espace, 547 pages, mai 2011, 22€

Abandonné sur un astéroïde, le vieil Irving est ramassé par l’un des derniers vaisseaux pirates qui sévit dans Persée, et pas des moindres : le célèbre Long John du Ravageur de Mondes, aujourd’hui commandé par sa fille, Bloody Marie. Contraint de s’intégrer à l’équipage sous peine d’être débarqué, Irving dissimule sa véritable identité. Car il a déjà croisé la route des forbans, bien des années avant...
Mais conserver le secret est une illusion, et Marie lui fait vite comprendre qu’elle sait qui il est. Et que son « sauvetage » n’est que la première étape d’un plan machiavélique de la capitaine pour redonner à ses couleurs un nouvel élan.
Mais Irving n’est pas du genre à se laisser faire. Et au contact des pirates, il retrouve rapidement sa vie d’autrefois...



L’humanité a essaimé dans la galaxie, la Terre n’est plus qu’un mythe. Mais les acteurs n’ont pas changé : la Flotte, force militaire, crée les portes entre les systèmes, et assure une relative sécurité à qui adhère à son hégémonie militaire. La Ligue des Cinq Comptoirs, d’anciens cartels, sont devenus corsaires et font régner l’ordre aux franges du système Persée. Et des pirates rançonnent les transports imprudents et mal défendus. Rien n’a changé depuis la Mer des Caraïbes du XVIIe siècle.

Mais une seconde fois, l’ère des pirates touche à sa fin. Après que le Ravageur de Mondes a été trahi par le Mariner, un corsaire -presque son égal- qui a disparu ensuite, l’utopie libertaire des Loups du Vide fait long feu. Seule Bloody Marie, avec son équipage hérité de son père, y croit encore. Le rêve de la capitaine est de rejoindre un autre système, où la Flotte et la Ligue sont absentes. Mais pour cela, il faudrait un vaisseau capable de « sonder » à travers l’espace, exclusivité de la Flotte... Ou alors, une antique ArchéoNef datant de l’Effondrement, comme celle du Mariner disparu.

Avec un tel vaisseau, les pirates pourraient à nouveau piller la galaxie...

« Bloody Marie » est un bon pavé de 500 et quelques pages durant lequel on ne s’ennuie guère. Jacques Martel réussit à merveille la fusion entre l’univers des pirates, qu’il a sérieusement étudié, et une SF intelligente, réaliste à de nombreux points de vue. Le tout au service d’une aventure romanesque qui ne s’éparpille pas en d’inutiles passages démonstratifs et autres batailles scintillantes de laser.

Bien au contraire, on a droit à une mécanique bien huilée, comme le piège qui se referme sur « Irving », le narrateur dont on ignore l’identité plus d’un tiers du récit, le temps pour nous de nous familiariser très naturellement avec le système de Persée et les forces en présence.
Jacques Martel déploie un vocabulaire très bien pensé pour définir armes, peuples et castes de son univers futuriste, très intuitif, au point qu’on ne se réfèrera pas à tout bout de champ à l’index final, d’une quinzaine de pages. Les abréviations et acronymes ainsi fréquents sont dès la première lecture des évidences. L’emploi de caractères non-latins (cyrillique notamment) pour certains termes illustre bien le brassage des langues et des cultures dans ce lointain avenir.

« Bloody Marie » est un récit. Les chapitres sont entrecoupés d’interventions d’un second narrateur, un marin venu boire un coup dans une taverne de l’astroport, et qui commence à conter les dernières nouvelles, la dernière aventure de Bloody Marie, la pirate qu’on croyait morte. Et c’est un récit de première main, puisqu’il le tient d’un des membres de son équipage... Celui que le lecteur découvre sous le nom d’Irving, avant de deviner, peu de temps avant la révélation, qui il est réellement.
Ces passages intercalés donnent une autre dimension au récit. On s’interrogera certes sur l’identité de ce raconteur, parmi les personnages à bord du Long John, mais sa seule présence nous informe qu’il y aura au moins deux survivants à cette aventure qui, au fil des pages, ressemble de plus en plus à une opération suicide.

C’est donc le point de vue narratif d’Irving qui domine, et on appréciera, sans s’énerver, que l’auteur ne laisse guère filtrer d’information sur lui dans les premiers chapitres. On le devine ancien pirate, venu se cacher des autorités sur cet astéroïde. La vérité est bien sûr toute autre.

L’action va crescendo, sans jamais nuire à la qualité d’écriture, au réalisme des personnages, ni sombrer dans la bagarre à tout va digne d’un jeu vidéo, même si l’auteur s’en donne largement les moyens, et que les affrontements des derniers chapitres n’ont pas à rougir de la comparaison avec de récents jeux de SF en termes d’effets comme d’immersion.
Et le pire dans tout cela, c’est que le héros fait tout pour empêcher un bain de sang... Pétri d’honneur et de scrupules, il est à l’exact opposé de Bloody Marie. Le clash entre eux deux semble perpétuellement imminent, et systématiquement repoussé, car ils ont mutuellement besoin de l’autre pour accomplir leur projet. Reste à savoir lequel à un coup d’avance...

Je n’en dis pas plus là-dessus, pour ne pas vous mettre la puce à l’oreille, et préfère vous faire l’éloge du travail de fond de Jacques Martel. Outre un vocabulaire futuriste intuitif, il transpose les codes des pirates avec rigueur. On est loin des gentils forbans d’« Albator » : Marie mène son équipage à la baguette, a droit de vie et de mort (pardon, de justice) sur chacun, et souffle le chaud et le froid selon ses envies et ses besoins. Le sort de Crâne, son second, est éloquent à ce sujet : alors qu’il a toute sa confiance, elle lui interdit de tuer Irving, parce qu’il a une valeur à ses yeux qu’elle ne veut pas révéler. Et lorsque son second complote contre elle, mais échoue à la renverser, elle sait être magnanime... mais elle n’oublie pas. Marie est la fille de son père, une vraie pirate qui brandit le code ancestral, sans pitié pour qui se dresse sur son chemin, ami ou ennemi, n’écoutant, contrairement à Irving, que son propre intérêt.

On appréciera également la richesse de l’univers, des factions, les éléments de religion, de castes, dont l’auteur sait user sans abus, ne nous assommant pas de détails, juste ce qu’il faut à la compréhension des différents évènements de son intrigue. De l’ordre des médecins aux Autres, il y a matière à imaginer un jeu de rôles très dense, où la guerre ne serait pas le maître mot.

C’est donc un coup de maître pour Jacques Martel et la collection « à dé couvert » de Black Book que ce « Bloody Marie ». De la SF de bruit et de fureur, dans un univers complexe sans manichéisme, qui cache une certaine réflexion sur la liberté et l’honneur.

EDIT 2019 : le roman est à nouveau disponible en poche dans la collection Hélios des Indés de l’Imaginaire


Titre : Bloody Marie
Auteur : Jacques Martel
Couverture : Sylvain Sarrailh
Éditeur : Black Book
Collection : à dé couvert
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 547
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 3,4
Dépôt légal : mai 2011
ISBN : 978-2-36328-089-3
Prix : 22 €



Nicolas Soffray
11 janvier 2012


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