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Combat des Trente (Le)
Serge Filippini
L’Archipel, roman (France), gothique futuriste, 281 pages, août 2010, 19,95€

Futur relativement proche. L’Europe a été victime de diverses catastrophes, climatiques, alimentaires, et Paris est un champ de ruines où la forêt a repris ses droits sur le béton. Les hommes, revenus à une barbarie devenue synonyme de survie, errent en bandes, pillent les vestiges de la capitale, s’entretuent.
Au milieu des décombres, quelques figures marquantes : Le Vicaire, un saint homme, le seul à avoir encore la foi, conte des histoires de « bénévolence », de bonté, aux miséreux réfugiés dans les restes de Notre-Dame, en rêvant d’un miracle. A Tolbiac, deux chefs de bandes occupent deux tours qui tiennent encore debout : Rob, subitement repentant de ses crimes, qui détient la clé des réservoirs d’eau potable de Paris, et Angst, à la tête d’assassins, qui rêve de lui ravir son pouvoir.
L’arrivée d’Asha, « princesse » de Neuilli, enclave autarcique et civilisée, va provoquer l’électrochoc tant espéré par le Vicaire.
Sous l’influence de cette femme-enfant, Rob et Angst, faute de s’entendre, vont livrer un héroïque combat, à trente contre trente, comme dans les récits du Moyen Âge, pour faire table rase du passé et ériger une ère nouvelle...



L’Archipel recèle de petites pépites d’imaginaire et, faute de collection clairement identifiée, il est facile de les manquer. Après « WonderlandZ », c’est une nouvelle bonne surprise pour moi que ce « Combat des Trente ».

Pour une fois, serais-je tenté de dire, la description de l’éditeur correspond au produit : le roman de Serge Filippini est gothico-futuriste à souhait. Un avenir proche, un monde dévasté par des cataclysmes sur lesquels on ne s’étend pas, que les hommes ont eux-mêmes oubliés en même temps que la civilisation. La nature a repris une partie de ses droits, ramenant avec elle la sauvagerie et la violence.
Si le passé est oublié, on vit néanmoins sur ses ruines, tantôt qu’on adule (comme ce qui demeure de Notre-Dame), tantôt qu’on souille : les anciens magasins et entrepôts sont appelés « mines », comme si les objets manufacturés, à l’usage parfois oublié, étaient devenus des matières premières pour ces gens revenus à un âge pré-industriel, et à une société presque préhistorique pour certains.

Car la loi du plus fort est redevenue la norme. Quelques groupes civilisés, « humains », survivent ici et là, mais cachés et/ou retranchés derrière de hauts murs, comme Neuilli, se coupant du monde du dehors, des sauvages, des bêtes.

Une aura christologique plane sur le roman dès ses premières pages : le Vicaire prie pour un miracle, et la Princesse de Neuilli quitte son cocon pour aller épouser Rob, puissant chef de bande prônant la paix et la solidarité. Ensemble, elle espère qu’ils pourront changer le monde. Confronté à la réalité du monde extérieur, et en dépit des mises en garde de sa grand-mère, sa vie ne va pas suivre le cours qu’elle imaginait : son promis n’a rien du prince charmant qu’elle avait rêvé, et ses désirs de femme, ces instincts du corps, qu’elle associe au mal (au « sale ») vont achever l’idéal pensé derrière les murs protecteurs.

Ce combat, cette boucherie, les deux cousins Rob et Angst la redoutent autant qu’ils l’attendent. Le roman recèle suffisamment de rebondissements, tous très naturels et bien amenés, pour que les personnages et les lecteurs voient osciller les raisons et les résolutions de ce combat. C’est Rob qui le provoque, tour à tour décidé à tuer Angst puis à lui faire entendre raison. Angst, mourant d’une lèpre, y voit un dernier baroud d’honneur, et sa guérison miraculeuse le change en un fanatique guidé par Dieu... mais pas libéré de sa violence ni de son ambition.

L’action reste centrée sur les deux tours et le damier qui les sépare. Je ne m’étendrai pas plus que l’auteur sur la métaphore évidente des échecs. Mais au-delà de ce vase clos, l’univers s’étend aux forêts parisiennes, mais aussi à un mode encore vivable : des pèlerins et autres réfugiés gagnent les côtes, où des bateaux africains viennent les « sauver » (je vous laisse découvrir les conditions de cet acte humanitaire), pour les conduire là où la civilisation a perduré.

Cet espoir extérieur qui demeure, et qui clôt le roman, m’a semblé superflu (le retour inopiné d’un personnage secondaire y ajoute en plus une coïncidence trop grosse pour être crédible), et plombe quelque peu la fin de l’histoire. Certes, elle permet de boucler la boucle de narration : Chose, l’enfant qui raconte l’histoire, s’est ainsi sauvé de Paris, est devenu moine, et entreprend de fixer son histoire, d’écrire la légende comme les rapporteurs médiévaux ont narré un combat similaire en leur temps.
Ce choix était déjà discutable : l’enfant n’est pas témoin de toutes les scènes racontées, le style n’est pas celui de la chronique mais, plus direct, de l’action. Quand bien même les différents protagonistes lui ont fait le récit des évènements (il le fait remarquer à plusieurs reprises, dès qu’il est désigné « témoin » du combat), il (et l’auteur à travers lui) laisse une grande part à la fiction dans la forme même de son texte.
L’éloigner, sous prétexte de « sauvetage », en fin d’histoire ne m’a donc pas semblé la meilleure idée, laissant un grand blanc sur les conséquences à moyen terme du combat des trente. Il eut mieux valu finir l’histoire dès la fin du combat, sur les (bonnes) résolutions qui en découlent.

Pour apprécier « Le Combat des Trente », on ne se creusera pas la tête sur le mélange chronique/narration directe, pour n’apprécier que la plume fluide de Serge Filippini et la noirceur de son Paris futuriste, et on pourra choisir de laisser de côté les derniers chapitres, rebondissement final superflu ou mal géré.

Mais le voyage vaut le détour. Les personnages sont vrais, avec de l’épaisseur, et profondément humains : capables du meilleur comme du pire, de changer, en surface ou au fond d’eux-mêmes, d’aimer et de trahir. Le décor « gothico-futuriste » est aussi original que maîtrisé, on croit à ce Paris mêlant ruines et nature sauvage. Et la confrontation entre des rêves d’idéal et la méchanceté du cœur des hommes nous laisse espérer qu’à la fin, le « Bien » l’emportera... Quel que soit le prix.


Titre : Le Combat des Trente
Auteur : Serge Filippini
Couverture : Guylaine Moi
Éditeur : L’Archipel
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 281
Format (en cm) : 14 x 20,8 x 2,6
Dépôt légal : août 2010
ISBN : 978-2-8098-0377-8
Prix : 19,95 €



Nicolas Soffray
7 janvier 2012


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