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Séance (La)
John Harwood
Le Cherche midi, NéO, roman traduit de l’anglais (Australie), fantastique victorien, 358 pages, mars 2010, 18€

Fin XIXe. Cherchant à soulager la peine de sa mère après le décès de sa jeune sœur, Constance Langton se découvre un don pour le spiritisme en fréquentant le milieu interlope des médiums et des charlatans de Londres.
Devenue jeune femme, Constance reçoit la visite d’un avocat du Suffolk, John Montague, qui lui annonce qu’elle a hérité d’un vaste manoir, mais délabré et assorti d’une sinistre réputation : son propriétaire, médecin adepte de l’hypnose, y aurait mené une expérience qui s’est soldée par un décès suspect et la disparition de sa femme et sa fille.
Face au trouble de l’avocat suite à leur rencontre, Constance va se plonger dans l’histoire de cette famille, et tenter de démêler le vrai du faux. Car rien ni personne ne semble être ce qu’il semble...



« La Séance » est un roman fantastique victorien comme on aimerait en lire plus souvent. Mon dernier en date est sans doute « Jonathan Strange & Mr Norrell ». Et par bien des aspects, les deux lectures m’ont laissé un sentiment similaire : une longue, longue construction, pour une résolution finale qui pourra laisser sur sa faim.

Cependant, peut-être parce « La Séance » est le deuxième roman de ce type que je lis - probablement aussi pour sa brièveté comparée aux plus de 1000 pages du Prix Hugo 2004 -, malgré cette sensation diffuse de ne pas avancer, ni de savoir où l’on va durant les deux tiers du livre, au sortir de ma lecture, ma satisfaction d’avoir lu un bon bouquin est immédiate.

La plume est excellente, et bien que John Harwood avance à pas de fourmi, c’est un plaisir de s’immerger totalement dans l’Angleterre victorienne, plus la campagne anglaise, car tout sonne juste.

« La Séance » adopte la forme du récit. Ou plutôt : des récits, car plusieurs narrateurs vont se succéder, sous forme de journal. Celui de Constance encadre le tout : en guise de longue introduction, elle nous raconte son enfance, et ce premier contact avec le monde du spiritisme tandis qu’elle aide sa mère à faire son deuil de sa jeune sœur défunte. L’occasion pour elle de nous faire partager ses doutes sur sa parenté avec ce père perpétuellement absent de la maison, et cette mère qui ne semble (semblait) vivre que pour sa deuxième fille, à croire que la première n’était pas le fruit de sa chair... Toutes choses qui, associées au don de spirite que se découvre Constance, forment notre esprit aux révélations et hypothèses qui vont suivre.

Et c’est peut-être là le coup de maître de l’auteur : s’ensuivent deux récits puis un journal intime, relatant des faits de vingt ans antérieurs, que la jeune fille lit en même temps que nous. La narration à la première personne de l’intro participant à notre identification avec Constance, c’est toujours son point de vue qu’on conservera en lisant les récits suivants, eux aussi à la première personne. Une sorte de double vue se crée : nous incarnons le narrateur, mais examinons, analysons son récit avec les yeux de Constance.

Cela pour deux raisons : outre cette mise en abyme, on recherche, comme Constance, le pourquoi de tout cela. En effet, le journal de l’avocat présente certes Magnus Wraxford, le médecin hypnotiseur, et son oncle qui se livre à d’étranges expériences, mais on ne voit pas trop encore où tout cela nous conduira. Vient ensuite le récit d’Elisabeth Unwin, qui à première vue semble totalement étranger à notre lecture précédente... Et puis...

Et puis c’est là que l’écheveau semble se démêler. Mais c’est un piège : la fameuse séance dont nous n’avions eu que des allusions nous est enfin révélée (nous sommes aux deux tiers du roman !) et le mystère ne fait que s’épaissir, balayant nos espoirs de compréhension en restant, forme du journal et d’un point de vue personnel limité oblige, relativement obscur sur les faits.

Il faudra la dernière partie (les 100 dernières pages), l’enquête de Constance, pour lever le voile. Mais quel voile ! Car tout ce qui a précédé avait un but : nous faire anticiper les hypothèses de Constance, y adhérer aussi fort qu’elle, refuser les propositions contraires. Et de vouloir autant qu’elle découvrir la vérité.

Bien entendu, elle ne sera pas ce à quoi on s’attendait. La légère déception que j’ai pu ressentir en fin de lecture vient de la réponse somme toute pragmatique et logique que John Harwood donne à son énigme. Mais, quelques jours après ma lecture, j’en apprécie la juste saveur, alors qu’il m’a fallu plusieurs semaines pour en faire autant de « Jonathan Strange... ».

Tout le talent de l’auteur repose ici sur l’illusion qu’il maintient, avec notre complicité, de la présence de fantastique dans son histoire. Comme les protagonistes, baignés dans cette ambiance gothique de vieux manoir, d’expériences de spiritisme et de disparitions mystérieuses, nous faisons trop vite nôtre l’adage cher à Sherlock Holmes : “quand on a enlevé toutes les solutions possibles, il ne reste que l’impossible”. Tout nous aura poussé ici à bannir d’emblée les évidences, toutes impossibles : seul le surnaturel semblait possible... Et pourtant...

Les éditions NéO (1978-1991) renaissent une nouvelle fois de leurs cendres. Après Les Belles Lettres de 1997 à 2003, c’est au Cherche Midi qu’Hélène Oswald poursuit son œuvre, et nous offre une nouvelle perle avec cette histoire à la frontières des genres historique, policier et fantastique. Admirablement servie par une couverture accrocheuse et une traduction de haute volée, « La Séance » va rejoindre mon étagère de livres que je peux chaudement conseiller à tous ceux qui n’aiment pas le fantastique.
Car cela n’en est pas.
C’est juste le lecteur qui l’aura cru, tout le long des 350 et quelques pages.
C’est cela le plus fantastique.


Titre : La Séance (The Seance, 2009)
Auteur : John Harwood
Traduction de l’anglais (Australie) : Danièle Mazingarbe
Couverture : Niroot Puttapipat
Éditeur : Le Cherche Midi
Collection : NéO, dirigée par Hélène Oswald
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 358
Format (en cm) : 14,2 x 22 x 3,2
Dépôt légal : mars 2010
ISBN : 978-2-7491-14934
Prix : 18 €



Nicolas Soffray
18 novembre 2011


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