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Proverbes I
Magali Duez et Mickaël Fontayne (anthologistes)
Griffe d’encre, Anthologie, nouvelles (France), fantastique, 101 pages, novembre 2010, 9€

Le projet de Griffe d’Encre est sympathique : s’emparer de proverbes, plus ou moins connus, et en tirer... quoi exactement ? C’est là toute la question, tant ce premier opus est varié.



Avant une revue de détail des nouvelles, reconnaissons que ce premier volume a le mérite de proposer des proverbes connus (La vengeance est un plat qui se mange froid ; Pour vivre heureux, vivons cachés ; Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ; L’habit ne fait pas le moine ; On n’est jamais si bien servi que par soi-même) avant de clore sur du plus original (Là où frappe le professeur, une rose fleurit). À la lecture du sommaire, on est irrémédiablement intrigué, et pressé de savoir par quel bout chacune des auteures (le féminin est de rigueur, avec six femmes à la plume, ou à la griffe, c’est selon) se sera emparée de cette sagesse populaire.

Et les surprises sont bonnes ou mauvaises. Ceci, tout à fait indépendamment de la qualité littéraire des textes, car la barre est ici placée haut. Qu’on aime ou pas chacune des nouvelles, il est indéniable que le style est là.

« Proverbes I » s’ouvre donc avec “La vengeance est un plat qui se mange froid”, de Ghislaine Maïmoun. Trois petites pages durant lesquelles un caprice d’enfant devient une diabolique machination. On est partagé entre un sourire, car l’humour noir affleure, et l’horreur face à la réflexion froide de l’enfant qui, par une technique mûrement réfléchie, vient d’échapper à sa corvée. Une perle, verte même, serais-je tenté de dire, non en hommage à Jack Vance, mais parce qu’il s’agit ici de manger ses petits pois.

Pour vivre heureux, vivons cachés” a ce charme des nouvelles de SF au décor quasi scénique, et dont quelques allusions ouvrent l’univers de manière assez vaste pour permettre à l’imagination du lecteur de remplir les blancs de ce monde sous une surveillance aussi intrusive que celle de Big Brother dans « 1984 ». On regrettera que dans le texte de Frédérique Lorient, outre ses personnages guère creusés, certains de ces éléments ne soient pas amenés de manière moins brutale. On se rattrapera sur la chute, qui pour un peu aurait pu faire faire une boucle à l’histoire, mais non. La dernière preuve de ce petit plus absent tout du long.

Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir” de Laurence Rodriguez, souffre des mêmes personnages sans plus d’épaisseur que les quelques pages de la nouvelle. Dans cette histoire de transmigration entre esprits adolescents, tout comme dans les deux textes précédents, le proverbe sert de morale (certes dévoyée ici) au récit. Un peu dégoulinant, une sorte d’écho aux émois tantôt purs et tantôt cruels à la « Twilight », caricatural et désincarné.

Sans que ces trois nouvelles aient été désagréables à lire, après une délicieuse mise en bouche (c’est le cas de le dire), ces deux-là nous laissent sur notre faim. On aurait attendu un peu plus, de subtilité, de profondeur...

L’habit ne fait pas le moine” est une nouvelle à chute, une de ces histoires lisses, à la limite presque fades, ici triste, mais que la conclusion réécrit et magnifie. Ou les malheurs d’une petite fille modèle, dont la perfection de façade masque la solitude dans laquelle ce rôle qu’elle n’a pas choisi la cantonne. Fonctionnant donc sur une structure ultra-classique, la nouvelle de Nathalie Salvi n’en est pas moins un véritable plaisir de lecture.

On n’est jamais si bien servi que par soi-même” est à n’en pas douter, et à mon goût, la meilleure nouvelle de cette anthologie. C’est la plus longue (une trentaine de pages), aussi prend-elle le temps de s’installer, d’instiller une atmosphère, des personnages, et le facteur déclencheur des cataclysmes à venir. Véronique Pingault a l’intelligence de ne pas chercher à imposer une solution à son système, sans que cela brime le lecteur. Bien au contraire, moi qui avais quelques hypothèses (des clones ? de l’hypnose ?) et qui apprécie de comprendre le “truc” me suis laissé enchanter par le crescendo de l’histoire, voyant le bonheur de cette ménagère se changer en horreur sans rien pouvoir y faire. Et la touche finale est la cerise sur le gâteau. Je vais être dur avec les autres, mais c’est peut-être la seule nouvelle mémorable de cette anthologie ; la seule dont je me souviendrai assurément à la simple relecture du sommaire d’ici quelque temps.

Peut-être me souviendrai-je aussi de “Là où frappe le professeur, une rose fleurit”. Proverbe un peu moins connu, et dont j’ai échoué à trouver la source ou le sens, et qu’Isabelle Guso, déjà publiée chez Griffe d’encre, a pris, malheureusement, au pied de la lettre. Et elle s’enferre dans une histoire de maltraitance d’une enfant par sa mère, sujet on ne peut plus épineux. Un texte qui parlera à tout parent qui, comme la narratrice, a jamais été à deux doigts de céder à la violence, face aux caprices de son enfants, ou ses bêtises derrières lesquelles pointe la malice. Dans la nouvelle, le premier coup, pédagogique, en appelle un autre, d’humeur, et c’est l’escalade, symptomatique de l’échec d’une autorité autre que violente, d’une impatience changée en habitude, jusqu’à l’adolescence et une conclusion fatale.
Isabelle Guso double le remords de la mère d’une vision onirique de roses, reflets des “fleurs” rouges, puis bleues, qui éclosent sur la peau de son enfant après chaque coup donné. La plume est certes de très haute volée, mais le tout est d’un pathos qui achève de faire de cette histoire un objet dérangeant.
Je peux me tromper, mais j’interprète ce proverbe comme « là où passe l’instruction, l’enseignement, quelque chose de beau naît du néant et du chaos », avec éventuellement l’arrière-pensée (dans le « frappe ») que l’arrivée de la civilisation est douloureuse, mais finalement bienfaisante...

Bref, dans cette dernière nouvelle comme dans les précédentes, le piège était dans l’interprétation du proverbe éponyme, surtout dans les formules les plus imagées. Ce sera affaire de goût pour chacun, mais ce premier opus de « Proverbes » ne me satisfait pas totalement. Si la lecture en est agréable, les choix retenus sont plus discutables. Peut-être eût-il été intéressant de confronter deux visions radicalement différentes (une littérale et l’autre interprétative) d’un même adage. L’entreprise a cependant le mérite d’être très originale, et de mettre en lumière des plumes d’excellente qualité. On attendra donc la suite avec intérêt et curiosité.

Ah si, finissons sur ce par quoi j’aurais dû commencer : la magnifique couverture de Nicolas Trève, accompagnée comme d’habitude dans les Griffe d’encre de son croquis original.


Titre : Proverbes I (anthologie, nouvelles)
Auteurs : Isabelle Guso, Frédérique Lorient, Ghislaine Maïmoun, Véronique Pingault, Laurence Rodriguez & Nathalie Salvi
Direction de l’anthologie : Magali Duez et Michaël Fontayne
Couverture : Nicolas Trève
Éditeur : Griffe d’encre
Collection : Anthologie
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 101
Format (en cm) : 20 x 13 x 0,8
Dépôt légal : novembre 2010
ISBN : 9782917718254
Prix : 9 €



Et comme dit le proverbe, « on est jamais mieux servi que par soi-même », l’appel à textes pour les prochains tomes est toujours ouvert, aussi vous pouvez apporter votre pierre à l’édifice...


Nicolas Soffray
18 octobre 2011


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