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Dieux de Bal-Sagoth (Les)
Robert Erwin Howard
Bragelonne, traduit de l’anglais (Etats-Unis), héroïc-fantasy, 476 pages, mars 2010, 22€

En un épais volume de près de cinq cents pages, quatorze nouvelles et un bref roman. Parmi ces œuvres, des textes qui ont marqué des générations d’auteurs et de lecteurs, et ont eu une influence considérable sur l’évolution du genre.



Des textes mémorables, quelques œuvres secondaires

Les Dieux de Bal-Sagoth
Là où n’importe quel autre écrivain de l’époque aurait fait un roman, là où n’importe quel auteur contemporain aurait dilué ses ingrédients en une bonne poignée de trilogies, Howard condense un matériau très riche en une simple nouvelle. Affrontement maritime en pleine tempête, naufrage, légendes millénaires, monstres, conquête d’un royaume, combats singuliers, malédictions, hypnoses, souterrains, idoles, complots, traîtrises, tous les ingrédients du genre sont convoqués en une succession frénétique pour s’achever, au terme de la chute d’un empire dans le sang et les flammes, sur un constat désabusé qui n’est pas rare dans les récits howardiens : “Je suis le roi Turlogh de Bal-Sagoth et mon empire se dissout dans le ciel matinal. Ce en quoi il est comme tous les empires du monde, fait de rêves, de fantômes et de fumée.

Le Crépuscule du Dieu Gris
Récit essentiellement historique dont la trame fantastique demeure assez mince et se rapproche plutôt du domaine mythologique, “Le crépuscule du Dieu Gris” relate la Bataille de Clontarf, qui opposa au début du onzième siècle les tribus celtes aux aventuriers nordiques. Épique et frénétique, succession de scènes de combat échevelées et grandioses, “Le crépuscule du Dieu Gris” compose, dans les hurlements des hommes et le fracas de l’acier, un de ces maelströms de férocité, de sang et de fureur guerrière dont Howard a le secret.

Lance et croc
On fera concernant ce texte de fiction préhistorique la même remarque que pour “Le Moment suprême” : il n’a pas réellement sa place dans un volume consacré aux récits de fantasy et d’horreur. Tout comme “Le Moment suprême”, il n’est à considérer que comme une curiosité, une de ces nouvelles comme pouvaient en écrire à la chaîne les auteurs sans talent particulier qui trouvaient dans les pulps de l’époque des débouchés pour les récits de genre.

Dans la forêt de Villefère
Il s’agit ici d’un texte bref, concis, limité à quelques pages, et auquel certains lecteurs pourraient être tentés de faire le reproche d’une trop grande linéarité. Pourtant, “Dans la forêt de Villefère” nous semble caractéristique du talent de l’auteur. Par l’économie de moyens, par le talent dont fait preuve Howard pour en quelques phrases installer une ambiance, placer un cadre sauvage et nocturne, et introduire ses personnages, ce texte nous semble représenter un véritable modèle. Ajoutons que la façon dont est peu à peu amené le monstre, avec un aspect au départ bien plus fantasque qu’effrayant, constitue une véritable trouvaille et rend au final ce récit beaucoup plus inquiétant que si l’auteur s’était contenté, comme c’est souvent le cas dans les récits de loup-garou, de décrire la simple horreur de la métamorphose.

La Tête de loup
Récit dense et profus, mettant en scène une poignée d’Européens dans un castel érigé sur des terres lointaines, “La Tête de Loup” – tout comme les aventures de Conan en compagnie de Bêlit sur la Côte Noire et quelques-uns uns des récits mettant en scène le bretteur élisabéthain Solomon Kane – se déroule sur la côte africaine. Personnages raffinés et violents à la fois, caractères tranchés, passés troubles, terreurs nocturnes dans les couloirs du château, malédictions anciennes, confessions, possession, sorcellerie, traîtrise et combats : bien des ingrédients howardiens se conjuguent ici pour une nouvelle typique du talent de l’auteur. Ici encore, Howard fait preuve d’habileté : plutôt que de mettre ici en scène directement le loup-garou, il laisse longtemps planer le doute au sujet d’un homme-léopard. Reste que si le lecteur devine assez vite qui est le véritable coupable des crimes et quelle malédiction est la sienne, on ne peut que regretter l’étrange maladresse ayant conduit l’anthologiste à faire précéder, dans le même volume, cette nouvelle par “Dans la forêt de Villefère” qui en donne instantanément la clef. Cette succession respecte certes la chronologie, à la fois des aventures de l’aventurier français De Montour et de la publication originale des textes, mais interdit d’emblée tout effet de surprise. À noter qu’une étrange malédiction pèse sur ce texte, puisque si François Truchaud, dans les années quatre-vingts, avait publié ces deux nouvelles en langue française dans des volumes et chez des éditeurs distincts, il avait lui aussi défloré à l’avance la teneur de “La Tête de Loup” en la rebaptisant, assez platement et fort inopportunément, “Le Loup-garou” .

Le Crâne vivant
Plus long qu’une novella, “Le Crâne vivant ”, fort de vingt et un chapitres et de cent vingt pages, est en réalité un court roman. Souterrains, sociétés secrètes, conspiration ramifiée à l’échelon mondial, mais aussi Londres avec ses ruelles, sa brume et ses fumeries d’opium : le récit évoque donc non seulement la littérature policière de l’époque victorienne, mais aussi, pour les connaisseurs de l’œuvre de Robert Ervin Howard, certaines des aventures policières de Steve Harrison. Si ce court roman souffre d’une paire de facilités peu dignes du Texan (la rencontre due au hasard de Kathulos dans les rues de Londres, le déclenchement d’une issue secrète par un bibelot jeté dans un mouvement d’humeur), la dimension type “abîmes du temps” de la menace, et le fait que celle-ci ne soit en rien effacée au terme du récit, lui donne une ampleur inattendue, permettant à l’un des protagonistes de s’exclamer, en un constat lovecraftien : “plus rien n’est stable ou certain, et l’humanité se trouve au bord d’abysses inconnus et d’une horreur sans nom”.

Le Moment suprême
On comprend assez mal la présence de ce texte dans un recueil défini par l’anthologiste comme rassemblant des textes d’horreur et de fantasy. Il s’agit plutôt d’une nouvelle d’anticipation entrant dans le corpus spécifique des récits de fin du monde. Il n’y a, dans ce texte desservi par une construction artificielle, ni action ni narration véritable, et le drame, la noirceur, le cynisme et la dérision visés ne nous y apparaissent guère atteints. Notons également que la “patte” howardienne fait à tel point défaut à ce texte inabouti que, n’était la découverte du tapuscrit dans les affaires de l’auteur, on en viendrait à douter de sa paternité. Notons à ce sujet que si Patrice Louinet parle d’idiosyncrasies propres à l’auteur, il fait tout de même remarquer que le texte n’est nulle part mentionné dans la correspondance ou dans les papiers de l’auteur. “Le Moment suprême” , s’il est bien dû à Howard, n’est donc qu’une simple curiosité, un texte très mineur, et d’intérêt purement anecdotique dans la mesure où Howard n’aborda qu’exceptionnellement l’anticipation.

Le Feu d’Asshurbanipal
Deux aventuriers parcourent les déserts d’Arabie à la recherche d’une cité abandonnée dans laquelle le squelette d’un roi mythique, assis sur son trône, tiendrait une gemme fabuleuse. Pour qui connaît l’auteur, nul doute que des affrontements sanglants avec les habitants du désert et des entités plus dangereuses qu’un simple squelette seront au menu. Le récit ne manque pas de tenir ses promesses. De surcroît, Howard y inclut de façon harmonieuse des éléments tirés de l’univers de son contemporain – et correspondant – Howard Philips Lovecraft pour en faire un de ces récits horrifiques et mouvementés dont il a le secret.

Les guerriers du Valhalla
Depuis qu’un pur-sang lui a brisé la jambe et qu’il est devenu infirme, James Allison, dont tous les ancêtres ont connu une fin glorieuse, se lamente et perd goût à la vie. Mais il fait la rencontre d’une femme d’une beauté surprenante qui lui révèle qu’il fut, dans la nuit des temps, un guerrier mythique du nom de Hialmar. James Allison bascule alors dans les abîmes du temps et revit son passé. Une aventure pleine de bruit et de fureur où l’on retrouve, comme dans “Les Dieux de Bal Sagoth”, une cité légendaire menacée par des envahisseurs, des combats sanglants, des sacrifices humains, des prêtres maléfiques, des amitiés viriles, des traîtrises innommables, et pour finir l’apparition de la déesse Ishtar elle-même. À noter qu’en écho à cette magnifique nouvelle existe une autre aventure de James Allison, “La vallée du Ver”, où Allison n’est plus Hialmar mais Niord, et combat en compagnie de deux personnages, Gorm le Picte et Bragi l’Aesir, qui sont déjà des protagonistes des “Guerriers du Valhalla”. On peut lire “La vallée du Ver”, dans le volume « Fureur Noire » (Marabout, 1981) en attendant de la redécouvrir dans un nouveau volume de Robert Ervin Howard à venir aux éditions Bragelonne.

Les Morts se souviennent
Ce récit apparaît, lui aussi, caractéristique du talent de Howard pour mettre en scène individus et ambiance avec un minimum de moyens. En à peine dix pages – une lettre, quatre dépositions, un bref rapport d’autopsie –, tout est dit. Dans le cadre du western, sans un mot de trop, et avec une structure narrative originale mais parfaitement efficace, Howard propose une histoire de fantôme et de vengeance qui n’a rien à envier aux textes canoniques. Malgré son cadre atypique, une ghost story classique et proche de la perfection.

Querelle de sang
Ce texte court - sept pages - qui, comme le précédent, relève à la fois du western et de la ghost story, nous apparaît honnête mais moins abouti, en raison sans doute d’une construction par trop linéaire. On y retrouve un grand leitmotiv de l’auteur, la supériorité du primitif sur le civilisé : “Dégagés des entraves pesantes et débilitantes de la sophistication et de l’intellectualité, ses instincts étaient l’expression la plus pure et la plus brute de la nature élémentaire”. Malgré le caractère ramassé du texte, on peut regretter une phrase comme “Une haine trop forte pour que même la mort puisse la vaincre, une haine suffisamment puissante pour s’incarner en elle-même, sans avoir recours à une substance concrète, ni même en avoir besoin”. Par laquelle Howard propose, sans doute trop précocement, la clef d’un dénouement que l’on ne peut dès lors qu’anticiper. Ce texte est néanmoins typique du style howardien : caractères tranchés et narration brève et tendue, ici réduite, comme souvent chez l’auteur, au strict essentiel.
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La Maison d’Arabu
Si ce texte ressasse quelques obsessions howardiennes – par exemple, une fois encore, la supériorité du barbare sur l’homme civilisé en proie à la décadence – et porte indiscutablement sa patte, il peine toutefois à convaincre. Un texte qui, peut-être en raison d’une trop grande richesse - du sorcier au vampire, en passant par les rituels magiques, la folie, la bascule dans un univers hanté par des monstres mi oiseaux mi-humains, l’histoire de peuples anciens – ne figure pas parmi les réussites majeures de l’auteur.

Enfin, trois fragments inachevés viennent compléter ce volume. “L’Ombre du Hun”, qui reprend les héros de la première nouvelle du volume, Turlogh O’Brien et Athelstane le Saxon, un premier fragment sans titre qui met également en scène Turlogh O’Brien, et un troisième fragment sans titre faisant intervenir un aventurier du nom d’Allison découvrant dans les sables un tombeau qu’il prétend être stygien. Récit d’horreur et de cité perdue, ou nouvelle aventure d’un Allison déjà plusieurs fois réincarné à travers les abîmes du temps ? Au lecteur de choisir et d’imaginer ce que Robert Ervin Howard aurait pu faire à partir de ce court fragment.

Une réédition bienvenue, un très beau travail éditorial

Si ce recueil contient donc quelques récits qui n’intéresseront que les amateurs d’exhaustivité et les aficionados de Robert Ervin Howard, il propose néanmoins suffisamment de textes d’importance, voire même fondateurs, pour en justifier pleinement la lecture. Cet épais ouvrage est agrémenté de nombreuses illustrations intérieures sous forme de dessins au trait de Didier Graffet (dont les illustrations les plus talentueuses ont été rassemblées chez Bragelonne dans l’élégant volume « Mondes et Voyages »). Si elles n’ont pas la puissance d’évocation de celles de Frazetta, on notera néanmoins que l’illustration du septième chapitre du récit “Le Crâne vivant”, avec son aspect vertical, centré et très symétrique nous semble être un hommage au travail effectué par Jean-Michel Nicollet sur les couvertures des œuvres de Howard(ainsi que d’autres auteurs) aux Nouvelles Editions Oswald. Le volume s’agrémente également d’une introduction et d’un texte érudit de Patrice Louinet, “Entre haine et oubli”, ainsi que d’une “note sur les textes” qui complètent utilement le volume.

Les inconditionnels de Howard connaissaient déjà la plupart de ces nouvelles dans des traductions sans doute un peu moins fidèles à l’esprit howardien puisqu’elles avaient pour la plupart été faites par François Truchaud à partir des versions publiées et non des tapuscrits originaux de l’auteur. Ce qui, si l’on fait abstraction de “corrections” éhontées pratiquées par certains, ouvre un vaste débat, à savoir celui de la meilleure version d’une nouvelle : celle que l’on ne peut attribuer qu’à l’auteur, ou celle qui a bénéficié du regard éclairé d’un éditeur. À défaut de pouvoir répondre à cette question, les amateurs pourront comparer ces nouvelles traductions avec les précédentes.

On pourra en effet trouver les premières versions de “Les Dieux de Bal-Sagoth” et “Dans la Forêt de Villefère” dans le volume « L’Homme noir » (Nouvelles Editions Oswald,1982), “Le Crépuscule du Dieu gris ” dans « Bran Mak Morn » (Nouvelles Editions Oswald 1982), “La Maison d’Arabu” dans « Cormac Mac Art » (Nouvelles Editions Oswald, 1983), “Les Morts se souviennent” dans « Cormac Fitzgeoffrey » (Nouvelles Editions Oswald 1984), “L’ombre du Hun” dans « Agnès de Chastillon » (Nouvelles Editions Oswald, 1983), “Lance et Croc” et “Querelle de sang ” (pour cette dernière nouvelle, sous le titre « Coup double ») dans le recueil « Le Tertre maudit » (Nouvelles Editions Oswald, 1985), “Le Moment suprême ” dans « La Flamme de la vengeance » (Nouvelles Editions Oswald, 1988), “Le Crâne vivant (sous le titre « L’horreur des abîmes ») et “La Tête de Loup ” (sous le titre « Le loup-garou ») dans « Le Pacte noir » (Marabout, 1981), “Le Feu d’Asshurbanipal” et “Les Guerriers du Valhalla ” dans le recueil « Fureur noire » (Marabout, 1981).

On pourra regretter, outre quelques coquilles (au final peu nombreuses compte tenu de l’épaisseur du volume) que le travail du traducteur et préfacier François Truchaud, qui fut dans les années quatre-vingts le pionnier d’une publication exhaustive en France de l’œuvre de Robert Ervin Howard, avec notamment l’édition en première mondiale de toute une série de textes inédits, ne soit nulle part mentionné, et que les “notes sur les textes” ne citent pas les traductions antérieures. Mais force est de constater que Patrice Louinet reprend haut la main le flambeau, puisque non content de nous fournir ici les textes traduits pour la plupart à partir des versions originales de Weird Tales (dont on sait que le rédacteur en chef, s’il suggérait parfois des modifications à Howard, ne remaniait pas de lui-même les textes reçus), et même, pour trois d’entre eux, d’après les versions dactylographiées de l’auteur, il nous livre aussi un essai final passionnant. Ajoutons que Patrice Louinet dirige également, aux États-Unis, la réédition complète de l’œuvre du maître de Cross-Plains. Une élégante manière pour les érudits français – notons à ce sujet que l’essai de Simon Sanahujas « Conan le Texan » est également disponible en langue anglaise – de s’inscrire outre-Atlantique dans l’exégèse de l’œuvre howardienne.

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Coquilles Bal Sagoth

Titre : Les Dieux de Bal-Sagoth
Auteur : Robert Ervin Howard
Traduction de l’anglais (États-unis) : Patrice Louinet
Introduction, appendices et notes : Patrice Louinet
Couverture et illustrations intérieures : Didier Graffet
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 476
Format (en cm) : 15,4 x 23,9 x 2,7
Dépôt légal : mars 2010
ISBN : 9-782352-94347
Prix : 22 €



À lire également sur la Yozone au sujet de Robert E. Howard :

- Un entretien avec Patrice Louinet
- La chronique de Bran Mak Morn
- La chronique de Solomon Kane
- La chronique de l’essai « Conan le Texan » par Simon Sanahujas


Hilaire Alrune
17 août 2011


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