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Marches nocturnes
Franck Ferric
Lokomodo, n°3, nouvelles (France), fantastique, 293 pages, mars 2011, 8€

Sur les dix-sept textes présentés, plusieurs ont déjà fait l’objet de publications dans la première décennie de ce millénaire, dans le Calepin Jaune d’Estelle Valls de Gomis, en sommeil depuis une paire d’années, dans l’élégante et éphémère revue Monk, ou aux défuntes éditions de l’Oxymore. Puis, ces textes ont été rassemblés en compagnie d’une dizaine d’autres dans un premier recueil éponyme en 2007 aux éditions Nuit d’Avril, lesquelles devaient à leur tour rendre l’âme l’année suivante. Mais les textes de Franck Ferric, qui semblent avoir la vie dure, resurgissent une fois encore, dans une plaisante édition de poche revue et augmentée.



Les récits de ce volume relèvent de domaines variés. Ainsi, si “Le Spectre et le Forgeron” prend place dans le registre du légendaire, “Des ailes pour tomber” relate la traque d’un ange dans un monde uchronique, avec des composantes à la fois médiévales et futuristes. Entre ces deux extrêmes, on trouvera “Nain rouge”, récit fantastique classique dans lequel le thème du pacte avec le démon se conjugue avec l’univers propice du cirque, ou des nouvelles horrifiques comme “Nightfall”, “Mortes Maisons”, “Muse froide” – variante sur le thème classique, mais toujours efficace, de la morte amoureuse –et “Intraspection”, tableau d’une terrifiante psychose infantile. Les récits allégoriques ne sont pas oubliés, tels “Le Fil des Eaux”,“ La Part des Cendres”, (nouvelle poignante qui peut-être aurait pu atteindre la puissance de la fable si elle avait été moins explicite), et l’excellent “No man’s land”, une parabole à la manière de Dino Buzzati. On découvrira également des fantaisies urbaines teintées de poésie comme “Dernière rame”, “Wild Jim” et “Fée d’hiver”.

L’appréciation d’un recueil de nouvelles est toujours subjective, et plus particulièrement - comme cela est ici le cas - lorsque les récits relèvent de tonalités et de genres différents. C’est donc sans prétendre nous baser sur des critères indiscutables que nous mettrons ici l’accent sur deux nouvelles qui nous apparaissent particulièrement réussies.

Fée d’hiver”, malgré un titre sans doute un peu facile, est à classer parmi ces réussites. Fantasy urbaine ou pure féerie, tour à tour léger et grave, fabuleux et cauchemardesque, parlant d’errance et d’enfance perdue, d’émerveillement et de répulsion, de fascination et de terreur, de vieillesse et de folie, de ce que l’on accepte et de ce à quoi l’on ne peut se résoudre, ce récit associe inventivité et poésie. S’il emporte l’adhésion, c’est par une justesse et une unité de ton que la diversité des thèmes abordés rendait difficile. Conjuguant avec efficacité, et sans faute de goût, l’ensemble de ces éléments, “Fée d’hiver” n’est pas loin d’apparaître comme un modèle du genre.

Sur un ton très différent, “La Synarchie des Rouquins”, par un ton atypique qui n’est pas sans évoquer certains textes de Gaston Compère, se démarque des autres nouvelles. Introduite par un titre qui, pour les lecteurs de Conan Doyle, fleure déjà la parodie, elle narre avec brio les déboires d’un journaliste goguenard infiltré parmi ceux qu’il nomme les « secréteux », membres d’un très improbable confrérie des Frères du Septentrion Austral. Mû à la fois par une ironie mordante et par le désir de générer un article à la hauteur de ses sarcasmes, le narrateur, pris à son propre piège, finira par découvrir des vérités quelque peu hideuses. Faisant intervenir des personnages célèbres de l’histoire des sciences occultes, pimentant son récit, sans aucune lourdeur, de références à des ouvrages fictifs (une version hollandaise du plus célèbre ouvrage inventé par Howard Philips Lovecraft, sous forme d’un « Codex Necronomicon ») ou réels (le Manuscrit Voynich que nul n’est jamais parvenu à déchiffrer, mais duquel est proposée ici une origine étonnante), l’auteur, sans jamais se départir de son ton plaisant, parvient à maintenir le rythme imprimé dès le départ, tout en générant une ambiance inquiétante et des images marquantes.

Franck Ferric possède donc une large palette et sait varier les styles, de la fantaisie humoristique au récit de facture traditionnelle, en passant par la fable ou le conte. Sur les dix-sept textes – quinze nouvelles et deux scènes introduisant le narrateur et lui laissant la parole pour conclure – trois sont pourvus d’exergues, respectivement de Cagliostro, de Chateaubriand, et de Baudelaire : si l’auteur ne recherche pas systématiquement une caution littéraire, il affiche néanmoins des influences classiques que l’on retrouve dans plusieurs de ses récits. Son style est en effet souvent travaillé, son vocabulaire étendu, et, si l’on peut noter quelques défauts (des phrases parfois trop lourdes, ainsi qu’une poignée de coquilles et d’approximations lexicales), le soin apporté à l’écriture lui permet le plus souvent d’atteindre son but. Dans un contexte de frilosité des grands éditeurs pour les nouvelles fantastiques, la réédition de ces textes représente donc une belle initiative de la part des toutes jeunes éditions Lokomodo, qui, face à la déferlante de la fantasy et de la bit-lit de bas de gamme, font ici le pari d’une plus grande exigence littéraire.

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Coquilles Marches nocturnes

Titre : Marches nocturnes
Auteur : Franck Ferric
Couverture : Bastien Lecouffe-Deharme
Éditeur : Lokomodo
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 3
Pages : 239
Format (en cm) : 110 x 170 x 1,7
Dépôt légal : mars 2011
ISBN : 978-2359000238
Prix : 8 €



À lire également sur la Yozone :
- La critique de l’ouvrage suivant chez Lokomodo poche


Hilaire Alrune
29 avril 2011


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