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Livre du Nouveau Soleil (le), tome 1 : L’Ombre du Bourreau
Gene Wolfe
Gallimard, Folio SF, n°348, roman traduit de l’anglais (USA), juste de la fantasy ?, 467 pages, septembre 2009, 7,80€

Sévérian nous conte son histoire. Nous narre ses mémoires. Et commence par le jour où, enfant, il a manqué se noyer. Et de constater que cette noyade aurait évité l’enchaînement de situations qui l’a conduit, lui alors apprenti bourreau, à occuper le siège de l’Autarque, maître de ce monde...



Chef-d’œuvre multi-primé de Gene Wolfe, le « Livre du Nouveau Soleil » nous entraîne dans une pseudo-fantasy qui se teinte très rapidement de SF, un peu à la façon de la BD « Thorgal » : si le niveau technologique général est celui du Moyen-Âge, quelques détails, secrets d’une poignée d’initiés, nous font tiquer. Et douter du passé de ce monde...
Sévérian est apprenti bourreau. La première moitié de « L’Ombre du Bourreau » est consacrée aux derniers temps de son apprentissage, ou plutôt de son quotidien à la Tour Matachine, le domaine de sa guilde. De ses talents d’exécuteur, le narrateur ne nous dira quasiment rien, jugeant que dans ses mémoires, ce n’est que partie négligeable. Et en effet, hormis lorsqu’une exécution est au cœur des évènements que Sévérian a décidé de nous narrer, les amateurs de sévices sanglants (ou pas) et de décapitations à tour de bras seront déçus. Bien au contraire, on a affaire à un récit d’apprentissage. Mais pas banal.

« L’Ombre du Bourreau » est captivant à deux niveaux. La narration à la première personne et le parti-pris de l’auteur de nous révéler dès le début l’avenir de son héros nous placent dans une perspective innovante (pour l’époque, le roman date de 1980), et d’autant plus frustrante que Sévérian, en rédigeant ses mémoires, choisit forcément les évènements qu’il juge marquants dans son parcours.
L’autre aspect vient bien entendu des œillères que le narrateur, personnage du cru, impose au lecteur dans la découverte de ce monde particulier. Lui qui y vit tous les jours trouve naturelles des choses qui nous sidèrent, et, autre trace de SF, l’inverse aussi parfois.

Heureusement pour nous autres lecteurs, la vie de Sévérian bascule. Pour avoir abrégé les souffrance d’une pensionnaire de la tour, dame de haute naissance dont il était tombé amoureux, le jeune bourreau est condamné à l’exil : il reçoit une charge dans une ville lointaine. Et on lui annonce que le voyage sera périlleux. Outre la guerre qui dure depuis des années entre l’Autarque et les dirigeants voisins, les rebelles de Vodalus fomentent des troubles. Et Sévérian n’est pour ainsi dire jamais sorti de la citadelle...

C’est donc avec les mêmes yeux émerveillés qu’il découvre les immenses faubourgs de Nessus, la ville qui s’étend à des lieues autour de la citadelle, jusqu’au grand mur. Et c’est là que vont lui tomber dessus ses premiers problèmes : vêtu de la tenue de sa guilde, on le prend pour un usurpateur, et tandis qu’il s’achète des vêtements plus discrets que sa cape de fuligine - une couleur plus sombre que le noir - et que le commerçant essaie de lui acheter son épée, la redoutable Terminus Est, on le provoque en un duel aux clauses bien particulières. L’occasion de faire le tour de la ville en charmante compagnie, et de rencontrer des personnages plus surprenants les uns que les autres : un metteur en scène philanthrope et philosophe, un géant maussade, une jeune fille amnésique...

Alors que la première moitié du roman était racontée sur le ton insouciant et idéaliste de la jeunesse, cette seconde partie est celle de l’âge adulte : Sévérian se heurte à un nouveau monde, dont certaines règles lui échappent, et auquel il tente d’appliquer ce qu’on lui a appris, constatant souvent que sa réponse n’est pas la plus adaptée... Son éducation et ses conversations avec Thècle, la dame de la cour, ont développé son esprit critique et enrichi sa connaissance des mythes de Teur, aussi s’interroge-t-il fréquemment sur le sens de ce qu’il découvre au fil de ses pérégrinations dans les faubourgs de la ville. Parfois de manière très métaphysique, ce qui pourra dérouter. D’autres fois, on devine mieux que lui ce que cachent certains actes, et on sourit aux conclusions auxquelles son éducation et son savoir le conduisent. Tour de force de l’auteur que de rendre son univers parfaitement logique tout en laissant pointer un sens caché à nous autres lecteurs.

On quittera Sévérian lorsqu’il parvient enfin à sortir de la ville, et qu’une bousculade le sépare de ses compagnons. Une fin brutale, aussi lirons-nous « La Griffe du Demi-Dieu » dans la foulée.

Concernant l’édition, on regrettera que la très accrocheuse couverture d’Anthony Wolff soit à l’exact opposé du contenu du livre. Ainsi qu’on le dit à Sévérian,« tu pourras te comporter comme un guerrier, te vêtir comme eux, à jamais il est gravé sur ton front que tu es un bourreau de la tour Matachine. » Le représenter en guerrier est donc bien malvenu. On préfèrera cent fois la couverture de Guillaume Sorel pour l’édition intégrale, chez Denoël, qui regroupe les 6 livres (publiés dès 1981 dans la collection Présence du Futur) en 2 tomes chez Lunes d’encre.
Notons également qu’en dépit d’une « édition définitive », il reste quelques coquilles, notamment au niveau ponctuation.

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L’ombre du bourreau - corrections


Le mélange entre fantasy et SF prend bien dans ce premier volume, et pour peu que le rythme se maintienne, le voyage devrait en valoir la chandelle. Affaire à suivre très bientôt...


Titre : L’Ombre du Bourreau (The Shadow of the Torturer, 1980)
Série : Le Livre du Nouveau Soleil, tome 1/6
Auteur : Gene Wolfe
Traduction : William Desmond
Révision pour l’édition définitive : Patrick Marcel
Couverture : Anthony Wolff
Éditeur : Gallimard (édition originale : Denoël, Présence du Futur, 1981, réédition en intégrale Lunes d’encre, 2006)
Collection : Folio SF
Site Internet : fiche du roman, édition intégrale (site éditeur)
Numéro : 348
Pages : 467
Format (en cm) : 10,8 x 17,8 x 2,2
Dépôt légal : septembre 2009
ISBN : 978-2-07-039884-3
Prix : 7,80 €



Nicolas Soffray
16 février 2011


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