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Plaine Obscure
Philip Reeve
Gallimard Jeunesse, Folio Junior, n°1533, roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), steampunk hommage à Jules Verne, 629 pages, mars 2010, 11,50€

Vingt ans se sont écoulés depuis « L’Or du Prédateur ». Tom et Hester ont vécu un temps à Anchorage, où est née leur fille Wren. Puis des secrets ont éclaté, des rancœurs se sont réveillées, et Esther est partie.
Et le monde ne va pas mieux : les locomopoles labourent toujours de leurs chenilles le Terrain de Chasse, les Assaillants Verts et leurs Traqueurs luttent toujours contre elles. Mais une lueur d’espoir perce, depuis que Lady Naga prône une trêve. Mais les intérêts des puissants sauront-ils s’y plier ? Hélas, l’Homme n’est pas fait pour la paix…



« Plaine Obscure » se déroule six mois après le désastre survenu à Brighton. Theo, l’ami de Wren, a regagné Zagwa, sa ville africaine. L’adolescente, quant à elle, est demeurée avec son père, dans leur aérostat, et sillonne les routes commerciales au-dessus des locomopoles et du Terrain de Chasse.
Lors d’une escale, son père croit reconnaître une amie d’enfance. Le choc est rude, car il se croyait, avec Hester, le seul survivant de Londres (dont la destruction est relatée dans « Mécaniques Fatales », le premier tome). Mais la femme fait mine de ne pas être celle qu’il croit. Encouragé par sa fille, et malgré son cœur fragile, Tom court après l’espoir de retrouver d’autres Londoniens.
La piste les mène à la locomopole allemande de Murnau, où le fils du Kriegsmarshall, le jeune Wolf von Kobold, finance leur voyage vers les ruines de Londres, qu’on dit hantées…

De son côté, le jeune Theo empêche un attentat contre Lady Naga, l’épouse du chef des Assaillants Verts, venue promouvoir une trêve pour le bien de tous. Mais la diplomate, trahie, est capturée et enlevée, et Theo jeté aux fers. Sauvé par le passage inopiné de Hester et du Traqueur Shrike, ils les entraîne tous deux à la recherche de Lady Naga, seule capable d’empêcher que le conflit ne reparte de plus belle entre les Assaillants Verts, partisans du retour à la terre, et les locomopoles, symboles ronflants et fumants du darwinisme municipal.

Et au milieu de tout cela, un jeune garçon répare un Traqueur mis en pièces sur Brighton. Tantôt, la machine est la douce Anna, comme une mère pour le garçonnet. Et tantôt elle est le Traqueur Fang, ex-chef des Assaillants Verts, l’immortelle, la messie… Et Fang détient les codes d’accès d’Odin, une arme terrifiante à même d’étancher sa soif de vengeance. Et va s’en servir.

Bien qu’ayant sauté la lecture du tome 3 « Machinations Infernales » (tout comme j’avais lu « L’Or du Prédateur » sans commencer par « Mécaniques Fatales »), rien n’est venu entraver mon plaisir de dévorer ce dernier (et épais) volet des aventures de Tom et Hester. Philip Reeve, certainement mon coup de cœur 2010 (voir aussi « L’Hôtel Étrange »), a bâti un vaste univers de science-fiction (tout se passe dans un futur moyennement lointain, après un cataclysme ayant changé la face de la Terre) qu’il a su allier à une civilisation oscillant entre le rétro, limite steampunk (via les aérostats) et l’uchronie futuriste : en effet, si une part de l’Humanité a fait le choix du darwinisme municipal (en gros, vivre sur des villes mobiles qui agissent en prédateurs des autres, chassant, dévorant et recyclant les plus petites), la technologie ne semble pas plus évoluée qu’au XXe siècle. Les machines sont même pré-atomiques, carburant encore au diesel.
Ce qui permet à l’auteur de placer le discours écologique au centre du conflit entre les villes et les Moussus, surnom des Assaillants Verts, sorte de Rébellion pro-retour à la terre. Deux visions opposées du monde, qui font que c’est la guerre qui l’emporte.

Ce dernier volume marque la fin du conflit. D’abord, avec la tentative de médiation de Lady Naga ; puis avec la prise de conscience collective que la guerre a détruit trop de vies, et a rendu l’existence de chacun cauchemardesque, à vivre derrière des panneaux blindés sans voir le soleil. Il faudra cependant, vous vous en doutez, une dernière bataille pour que l’horreur du conflit saute aux yeux des dirigeants les plus puissants.

En bon auteur, Philip Reeve ne clôt pas son histoire d’un coup de baguette magique, d’un tour de passe-passe scénaristique comme beaucoup savent le faire pour notre plus grande déception. Au contraire, avec « Plaine Obscure » et le secret de Londres notamment, il propose une amorce d’évolution naturelle de la civilisation. Avant de montrer, dans son épilogue, que quand bien même l’idée était bonne, l’Humanité a emprunté une autre voie. Car nul ne sait de quoi sera fait l’avenir.

Au-delà de ce fond impeccable, Philip Reeve nous narre avec son efficacité coutumière les aventures de ses différents protagonistes, qui se croisent parfois, jamais quand il le faut, toujours au pire moment pour eux, pourrait-on dire. On sera ravi de retrouver l’infâme flagorneur qu’est Pennyroyal, et désemparé à chaque nouvelle catastrophe que sa maladresse et sa veulerie mielleuse déclencheront. On suivra une douzaine de personnages, dont des anciens (comme Fang et Shrike, là dès le début), et d’autres nouveaux, comme Theo ou Lady Naga, rencontrés à Brighton. Mais jamais l’auteur ne nous perd en chemin ni ne cherche à brouiller les pistes : tout est clair, facile à suivre. Et palpitant. Tellement qu’on dévore les quelques 600 pages, avant de se rappeler que cette fois, c’est la fin…

La traduction de Luc Rigoureau est à la mesure du talent de Philip Reeve, comme à chaque fois. On notera tout de même un peu de relâchement de la part de Gallimard : ce quatrième tome contenait plus que sa part de coquilles et/ou mauvaises impressions, notamment sur la ponctuation.

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Plaine Obscure - corrections


Si ce n’est pas déjà fait, jetez-vous sur Philip Reeve (enfin, sur ses livres). C’est bien écrit, prenant, facile à lire, fort imaginatif. Gallimard dit « à partir de 11 ans ». J’ajouterai « et jusqu’à 111, voire plus ».


Titre : Plaine Obscure (A Darkling Plain, 2006)
Série : Tom et Esther, tome 4/4
Auteur : Philip Reeve
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Luc Rigoureau
Couverture : David Frankland
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Folio Junior
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 629
Format (en cm) : 12,5 x 18 x 3
Dépôt légal : mars 2010
ISBN : 978-2-07-0617425
Prix : 11,50 €


Philip Reeve sur la Yozone :
- Planète Larklight et L’Hôtel étrange
- Tom et Esther : Mécaniques Fatales, L’Or du Prédateur, Machinations Infernales, Plaine Obscure


Nicolas Soffray
29 janvier 2011


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