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Kalix, la Loup-Garou Solitaire
Martin Millar
Intervalles, roman traduit de l’anglais (Écosse), chronique familiale fantastique et un peu barrée, 527 pages, octobre 2010, 23€

Le clan MacRinnalch est le plus grand clan de loups-garous d’Écosse. Et lorsque son chef, le Thane, vient à mourir, s’engage une sévère guerre de succession pour le trône. En effet, la Maîtresse des Loups-Garous, veuve du Thane, veut imposer son fils cadet à la place de son père, tandis que l’aîné revendique le titre au nom de la tradition. C’est donc au Grand Conseil de trancher, par un vote. Bien entendu, chacun a ses partisans, loyaux ou soudoyés…



Une histoire fort divertissante…

Faute de majorité, la guerre couve. Chaque camp cherche à se rallier les indécis : Thrix, l’Enchanteresse qui a coupé les ponts avec la famille et est devenue créatrice de mode à Londres, les deux cousines-dont-on-ne-parle-pas, aussi riches qu’immatures et tentant de devenir des rock-stars mais sombrant plus souvent dans le whisky familial que dans le succès, et enfin Kalix, la dernière fille du Thane, éternelle laissée-pour-compte, délaissée par ses parents, illettrée, accro au laudanum, et accessoirement celle qui a mortellement blessé son père lors d’un duel.
Nombreux sont ceux qui voudraient voir le Thane vengé. Et la tête de Kalix (ou son cœur) peut faire pencher la balance entre les deux candidats au titre.

Cela pourrait être une simple histoire de succession, mais les petits détails, comme la profession de Thrix (et l’omniprésence de la Reine du Feu, sa meilleure et envahissante cliente sans-gêne, capable de pleurer devant des vêtements haute couture alors qu’elle a conquis son trône après une guerre fratricide sans merci), la déchéance des deux cousines-dont-on-ne-parle-pas, et la dépression chronique de Kalix, toujours prête à se laisser mourir à la première contrariété, en font une fresque digne des grandes sagas familiales télévisuelles.

Le goût du frère cadet pour les vêtements féminins, annoncé dès la 4e de couverture, est finalement accessoire, tout comme la passion de Kalix pour les Runaways, qui sert d’accroche avant de s’effilocher. Peut-être cela reviendra-t-il au premier plan dans le second volume.

La grande part d’humour revient bien entendu aux deux étudiants qui recueillent Kalix et tentent de la remettre sur pied : Daniel, le timide et maladroit fan de musique, et Lune, la gothique bonne élève. Ils se chamaillent sans arrêt, Daniel étant amoureux de Lune qui ne s’en rend pas compte. Malveria la Reine du Feu vient y mettre son grain de sel : toujours à la recherche de divertissement depuis qu’elle a pacifié (par le feu...) son royaume, et en attendant la prochaine occasion mondaine de s’exhiber dans les chefs-d’œuvre de Thrix, elle entreprend de jouer avec les deux jeunes, de faire éclater leurs sentiments, après avoir arraché un serment à Lune... En cela, elle est aidée de son impossible nièce adoptive, une ado rebelle et gaffeuse.

… dans un style un peu léger…

Le roman oscille perpétuellement, grâce à un enchaînement de chapitres courts (236 pour 527 pages) donnant la parole à chacun des nombreux protagonistes, entre drame (la guerre de succession qui couve et enfin éclate) et légèreté (avec le quotidien de Thrix et Malveria ou celui de Daniel et Lune). Néanmoins, cette profusion de personnages et les fréquents allers-retours entre Londres et l’Écosse nécessitent une lecture attentive : l’action avance parfois doucement, car vue (ou rapportée) par différents acteurs, et on se dit parfois que Martin Millar aurait pu alléger sa prose de lourdes répétitions.
Si vous lisez les 150 premières pages d’une traite, vous aurez la sensation qu’on vous a décrit plusieurs fois, de manière identique, chaque membre du clan. Si vous n’avez pas rapidement compris que Dominil a les cheveux blancs... Au chapitre 50 (page 104) lorsqu’elle entre en scène, son prénom est répété quasiment toutes les trois lignes, donnant la sensation de digérer une rédaction d’écolier.
Tout au long de son roman, Martin Millar est coutumier de ce style guère léger, voire simpliste. Les répétitions des prénoms sont légion (du genre : il se tourne vers Kalix. Kalix fait...), à croire qu’il ne connaît pas les pronoms. Entre les noms, les descriptions, les rappels inutiles d’un détail qui fait la spécificité de l’un ou l’autre, on aurait pu épargner quelques dizaines de pages...

De plus, je ne crois pas avoir buté sur un terme difficile, la prose est accessible à tout un chacun. Et si cela rend la lecture facile, cela déçoit quelque peu : à cette épaisseur (527 pages sans blancs superflus) on aurait aimé voir s’ajouter une plume plaisante, digne des louanges d’un conteur comme Neil Gaiman.

Si l’intrigue est délicieusement touffue mais jamais (ou très rarement) confuse, la forme du récit reste, je ne peux le dire autrement, extrêmement banale. Et la traduction de Marianne Groves ne peut, même avec la meilleure volonté, faire des étincelles.
Pas une déception donc, mais une joie en demi-teinte.

Là où le bât blesse cependant, et profondément, à vous labourer les flancs, c’est au niveau de l’édition...

… et un bien piètre travail d’éditeur !

J’ai déjà un peu incriminé la traduction, mais sans trop savoir qui, de Millar ou de Groves, est à incriminer. Il est néanmoins un point dont seul l’éditeur peut être blâmé : la relecture. Tellement effarante que je me demande même s’il y en a eu la moindre d’esquissée.
Je passe sur l’absence d’indication, en regard de la page de titre, du titre original. « The Lonely Werewolf Girl », pour votre information. Le « Kalix » est un ajout.
Certains livres laissent des coquilles, des mots un peu compliqués écrits au petit bonheur. Rien de cela ici, puisque je l’ai dit, la langue est fort simple, la syntaxe de même. Non, là où le travail d’Intervalles pèche, c’est dans les broutilles : des noms propres mal orthographiés (une espace s’invitant après le “Mac” des noms écossais, des confusions entre deux personnages aux noms proches, mais aussi des mauvaises graphies, et cela dès la 4e de couverture !), des soucis de guillemets, des espaces manquantes là où elles devraient en plus être insécables, sans parler des trucs vraiment bêtes, comme les fautes pures et simples, les s manquants des pluriels (ou au contraire parsemés même là où il n’en faut pas), des choses que le lecteur lambda moins pinailleur que moi voit à la simple lecture. Et cela, une page sur deux en moyenne… Je vous invite à 4 pages de lecture divertissante :

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Kalix - corrections

Bon, ce ne sont que broutilles, mais ce sont des petits riens qui, à force, agacent, excèdent, tant on se dit qu’il est bête de publier un livre entaché de fautes aussi basiques. Surtout un livre acclamé, et vendu comme un petit bijou.
Un diamant parsemé de rayures, vous y croyez ? Intervalles l’a fait.
On espérera plus de soin dans la publication du tome 2, « The Curse of the Lonely Werewolf », sorti en 2010 en Grande-Bretagne, et qui ne mettra pas, comme ce tome 1 (souhaitons-le) 3 ans à nous parvenir en français.

Pour en finir, « Kalix, la Loup-Garou Solitaire » reste un pavé plaisant à lire, la guerre de succession étant habilement entrelacée avec le quotidien de deux étudiants vivant avec une loup-garou dépressive et la guerre entre stylistes, pour former un cocktail détonnant d’humour. La qualité de son intrigue et du déroulement de celle-ci pardonneront son style périodiquement faible et sa longueur parfois un peu exagérée. On en attendait plus sur le fond, beaucoup plus sur la forme, néanmoins le résultat, aussi imparfait que je le décrive depuis le début de cette chronique, n’est pas déplaisant, et comblera la très grande majorité des lecteurs.


Titre : Kalix, la loup-garou solitaire (Lonely Werewolf Girl, 2007)
Série : pas de titre de série, tome 1 (tome 2 paru en VO en 2010)
Auteur : Martin Millar
Traduction de l’anglais (Écosse) : Marianne Groves
Couverture : Walter Minus
Éditeur : Intervalles
Site Internet : page roman (site éditeur) ou sur le site de l’auteur (en anglais)
Pages : 527
Format (en cm) : 15,5 x 23,8 x 4,5
Dépôt légal : octobre 2010
ISBN : 978-2-916355-46-7
Prix : 23 €



Nicolas Soffray
10 janvier 2011


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