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Farence : La Légende
Dario Alcide
Auto-édition, roman (France), science-fan-fiction, 312 pages, novembre 2009, 13€

Dans ce récit qui nous vient du futur, sur une lointaine planète colonisée, deux jeunes humains (un peu mutants) quasi jumeaux se croisent. Yatsun vient de remporter le championnat planétaire de boxe, tandis que Kamais est un petit voyou des rues. Ces deux presque jumeaux, réunis par le hasard et le destin, sont alors contactés par Syriel, une jeune guerrière Elfide qui leur révèle qu’ils sont la double réincarnation du prince Farence, le souverain de sa planète d’origine opprimée depuis 20 ans par le vilain Cerk.

La guerrière va les aider à maîtriser leurs pouvoirs avant d’ouvrir un portail vers son monde, plongé dans les ténèbres par la magie de Cerk. Les deux grands gamins, devenus super forts au combat, capables de voler et lancer des éclairs ou des boules d’énergie, découvrent un monde dévasté, une résistance encore tenace et des troupes de mercenaires ennemis redoutables. Dans un tour d’honneur pour remonter le moral des survivants de l’oppression, ils croisent la route des sections spéciales de Cerk, composées de super-guerriers.

Au final, après pas mal de morts dans les deux camps, et des duels à répétition, la disparition de Syriel dans un vortex invoqué par Cerk laisse Kamais, la tête brûlée du duo, complètement désemparé, tandis que Yatsun devient le nouveau prince de la planète libérée par les forces galactiques.



Roman auto-édité, « Farence : La Légende » me faisait espérer une bonne surprise ou craindre le pire. La lecture a été un véritable calvaire, car disons-le franchement : Dario Alcide (malgré les références culturelles sous-entendues par ce pseudo) ne sait pas écrire. Je m’explique, car je ne voudrais pas paraître brutalement insultant, et vais donc argumenter. Mes excuses anticipées car ça risque d’être long.

Commençons par l’histoire. Comme je l’ai résumé ci-dessus, c’est bateau au possible. Deux orphelins qui vont sauver une planète dont ils ignorent tout, avec une belle guerrière et un vilain méchant.
Vous me direz, de nombreux romans se basent sur cet éternel combat manichéen entre le Bien et le Mal. Oui, mais les bons se démarquent par un style, des choix littéraires, un univers captivant, des personnages attachants… Ici, rien de tout cela, bien au contraire.
Le roman s’ouvre sur un avant-propos : le narrateur s’adresse directement à nous, lecteurs, et « Farence : La Légende » se présente donc sous la forme d’un récit enchâssé. Seulement voilà : ce récit-cadre est aberrant de ridicule et d’incohérence. Je détaille : le narrateur se présente comme un historien du futur lointain (19 milliards d’années après le XXe siècle), et il se propose de nous raconter un épisode à peu près à mi-chemin entre lui et nous. Bien qu’il promette de ne pas nous révéler l’avenir, il s’embarque dans une histoire très précise de la conquête de l’espace et de l’univers dans les XX-XXVe siècles (évènements datés à l’année près ! c’est beau la conservation des archives sur 19 milliards d’années…), l’essaimage de l’humanité, les mutations, les colonies… Et termine par une anecdote : dans un système perdu, un savant pas loin de fou crée des créatures bizarres. L’une d’elles, Cerk, se rebelle et le tue, avant de partir à la conquête d’on ne sait trop quoi…
Là, déjà, après un prologue d’une dizaine de pages, on est atterré par les illogismes et le manque d’intérêt, et étouffé sous le monceau de détails inutiles. La suite va s’empirant, notamment par l’absence du narrateur tout au long du récit (à une ou deux lignes près) qui ne reviendra qu’en conclusion.

Le récit proprement dit commence alors sur une planète qui n’a qu’un numéro de série (dont le principe d’attribution nous a été expliqué en détail, ô joie) pour nom. Kamais est un voyou qui veut changer de gang, et il croise la route, par hasard, du nouveau champion de boxe, Yatsun. Ils se recroisent le soir même, alors que des loubards, voulant dépouiller Yatsun, tuent la fiancée de ce dernier. Ils s’installent ensemble, avant qu’une guerrière Elfide, vachement plus forte qu’eux, n’arrive avec son baratin prophétique. Je ne vous refais pas le bla-bla, ça suffit.
D’après le prologue, le narrateur a ressuscité cette histoire des journaux intimes de Syriel (la guerrière) et Naya (qui apparaît plus tard, dans le rôle de la réfugiée qui remplace la fiancée défunte du héros). La forme du journal aurait été une bonne idée (regardez notamment l’excellent « Equilibre des Paradoxes », de Michel Pagel, éditions Denoël), mais, outre le fait que les deux filles en question ne tiennent pas de journal au jour le jour, Dario Alcide nous raconte ça platement.

Mais quand je dis platement, c’est vraiment le plus bas niveau de la littérature. Genre fan-fiction de fin de collège (et je suis gentil, ou plutôt méchant avec les collégiens). La langue est pauvre, et assez souvent martyrisée. Je ne dirais rien des quelques 50 coquilles qui subsistent (malgré la correction d’un ami, remercié en intro), car ce n’est pas, et de loin, le pire. Dario Alcide semble ne pas connaître la concordance des temps, et fait montre d’un goût prononcé pour certains mots. Par exemple, les épées ne sont capables que de “lacérer”. Jamais de couper, de trancher, de balafrer, de perforer…
Le texte est clairement séparé entre récit, lourd et mal mené, truffé d’expressions françaises approximatives ou incongrues, et dialogues, souvent inintéressants, factuels et dépourvus de musicalité, la faute à une absence de virgules qui relève du génocide, quand cet oubli typographique ne provoque pas des incompréhensions. Sur 300 pages, j’estime qu’il manque, récit et dialogues confondus, environ 4000 virgules.
Il semble clair que l’auteur, malgré un sens du théâtral prononcé (voir les combats dignes des animes « Naruto », ou plus sûrement « Dragon Ball »), n’a jamais prononcé à haute voix les répliques de ses personnages.
De plus, le lecteur qui aura persévéré (il a du mérite) sera déstabilisé par le saut de ligne qui sépare systématiquement un paragraphe de récit d’un autre de dialogue, voire deux paragraphes à l’action pourtant consécutive. Oublié également le décrochage en début de ligne, qui n’aura tenu que sur la première page.

La majeure partie de l’histoire se partage entre les pérégrinations de nos trois héros et les combats contre les méchants membres des sections de Cerk. La partie voyage étaye un peu la vacuité des personnages, cantonnés à leur stéréotype : Kamais est un voyou, une tête brûlée, il veut être le plus fort, et sous son apparence d’ado cool (très manga là encore) il ne tarde pas à montrer qu’il en pince pour Syriel, avec tout le manque de subtilité d’un morveux monté en graine. Yatsun est parti bouleversé par la mort de sa fiancée, et comme par hasard il tombe sur une gentille fille qui va peu à peu guérir son cœur. Bien évidemment, Kamais et Yatsun s’entendent vaguement comme chien et chat, mais au combat ils sont complémentaires, héritiers de la force et de l’adresse de Farence.

Combats très nombreux, et là c’est l’apothéose (ou le drame, ça dépend) où l’on ressent totalement l’influence « Dragon Ball ». Les adversaires s’invectivent, se testent, massacrent les petits soldats façon chair à canon histoire de s’échauffer, se battent en vol, s’envoient des boules de feu… et finalement s’enfuient en se promettant que la prochaine fois, ils ne se feront pas de cadeau. Trop génial, vraiment… Le souci, et majeur de surcroît, c’est que Dario Alcide ne sait pas décrire un combat. Je ne demande pas la maîtrise de Derek Landy (qui a été prof d’arts martiaux) mais c’est souvent brouillon, au point qu’on ne sait rapidement plus qui affronte quel monstre, s’ils sont dans les airs ou sur le sol. C’est censé être intense, aussi la moindre des choses serait, stylistiquement, d’aligner les phrases courtes. Donc Alcide fait le contraire, nous colle des propositions subordonnées et juxtaposées à foison (soit des phrases souvent de 3 lignes, et assez fréquemment il arrive à 4), qui tuent le peu de rythme.

La fin sombre dans le grand-guignol (avec l’arrivée de la cavalerie galactique) et le cliché (c’est un enfant qui sauve le monde, l’héroïne est kidnappée, il y a un méchant encore plus fort derrière tout ça). On sent bien venir le tome 2, malgré un épilogue à la limite du happy-end d’une brièveté et d’une concision à faire passer les conclusions de David Gemmell (qui résume la fin de ses héros en une demi-page) pour de la saga-fleuve.
L’estocade finale vient de la conclusion, fermeture du récit-cadre, où notre narrateur du début nous promet la suite pour bientôt, bien que ses recherches ne soient pas terminées. Apparemment, il peut envoyer des trucs dans le passé, mais pas tout à la même date. J’en ris encore.
Et je m’interroge toujours sur le pourquoi du titre, Farence étant une coquille vide d’un bout à l’autre du récit. Mais bon, je cherche aussi l’argument du narrateur-historien pour partager avec nous cette histoire inutile pour nous (car dans 9 milliards d’années) et pour lui (il ne signale aucun impact à son époque, 10 milliards d’années après, et c’est bien normal me direz-vous).

Bref, une histoire archi-banale, un récit-cadre aussi risible qu’incroyable (au sens premier du terme), un texte d’un style navrant indigne de publication, un univers ultra-alourdi de détails finalement inutiles, des personnages sans épaisseur, une mise en page bâclée, une relecture grammaticale proche de zéro… difficile de sauver quoi que ce soit.

« Farence : La Légende » semble avoir son fan-club sur internet, et le volume s’enrichit même de quelques illustrations, très manga, de lecteurs du monde entier. Je ne peux qu’être navré de voir que certains ont trouvé cette histoire assez passionnante pour l’illustrer, et j’ai de sérieux doutes sur leurs lectures… Quoique l’un dessine Toans, un personnage immatériel, sous la forme d’un monstre avec griffes et dents, donc je doute même qu’il ait lu cette histoire…

Je dis souvent du mal des éditeurs, mais je leur reconnais un rôle très important : celui de dire non. Votre éditeur n’est pas votre copain, ni votre fan. Il ne vous dit pas “c’est trop super” quand c’est de la soupe, et que ça ne vaut pas le papier sur lequel c’est imprimé.
L’auto-édition est la pire voie pour entrer dans la littérature, car vous n’avez pas d’avis critique de votre travail. Il existe pourtant nombre de concours de nouvelles ou de petits éditeurs à qui proposer ses textes pour faire ses premières armes (oserais-je citer le récent « De la Chair à l’Acier » ?).
Je terminerai en rappelant le bon et très bien écrit (trop, disais-je à l’époque) « Prophets », premier roman d’une jeune fille, secondée par un éditeur qui croyait en elle. Un résultat sidérant.
Ici, que des larmes.

Il n’est pas donné à tout le monde de savoir écrire. Clairement, Dario Alcide ne sait pas. Mais il aurait été bien que quelqu’un lui dise plus tôt. Cela aurait épargné des arbres, et à moi 300 pages de souffrances oculaires et cérébrales.


Titre : Farence : La Légende
Auteur : Dario Alcide
Couverture : http://www.cartoonbox.be/
Editeur : Auto-édition, 2e édition
Site Internet : site du roman
Pages : 312
Format (en cm) : 14,8 x 23,9 x 1,6
Dépôt légal : novembre 2009
ISBN : 978-2-9533178-1-7
Prix : 13 €



Nicolas Soffray
4 mai 2010


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