Le concept est séduisant et propice à l’imagination. Et si les grands évènements historiques de notre humanité s’étaient déroulés autrement ?
Quelles conséquences pour la suite ? En quoi le monde serait aujourd’hui différent ?
Le principe de l’effet papillon, un détail (même important) change et tout est bouleversé. Ici, il n’est question que d’une inversion de nationalité…
Ce ne sont pas les américains qui ont fait « un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité » mais les Russes !
Un détail qui a une importance immense sur l’histoire du monde entier. Dans la réalité, lors de la conquête de la lune par les USA, l’Union Soviétique a vite renoncé à concurrencer son rival, essentiellement pour une considération budgétaire. La Guerre Froide s’est jouée sur d’autres terrains moins lointains.
Dans cet album, les russes ont gagné la course certes, mais les États-Unis ne renoncent pas pour autant et décident d’établir eux aussi une base lunaire afin de ne pas laisser le champ trop libre à l’ennemi.
Ceci enflamme encore plus la situation politique et aggrave les tensions entre les 2 blocs. Alors que sur terre, la véritable guerre n’est pas loin, sur la lune c’est une toute autre ambiance. En effet, poussés par la proximité et l’entraide, Russes et Américains ont fraternisé. Comme cela a pu se voir en 1945 dans les tranchées, les ennemis sur terre sont devenus amis et se rendent services mutuellement. Les Russes fournissent l’alcool frelaté pendant que les Américains produisent du cannabis lunaire pour les 2 camps.
Se doutant que quelque chose cloche, le gouvernement soviétique décide d’envoyer un patriote pour éclaircir la situation. Les américains font de même en faisant escorter le médecin demandé par la base par un vétéran du Vietnam.
Et c’est là que l’histoire dérape, dégénère, devient surréaliste.
Alors que jusqu’ici le récit était cohérent et plutôt bien mené, de nombreux détails viennent perturber la vraisemblance de l’histoire. Des personnages très caricaturaux qui dérangent, ou tout blanc ou tout rouge, comme le pilote russe, tête brûlé alcoolique, envoyé dans cette mission pour tenter de redorer son image. Le GI vétéran du Vietnam, patriote borné et violent. Ou bien encore Dennis et son collègue, militaires américains présents sur la base lunaire depuis 2 ans. L’un est le parfait militant pacifiste californien, tandis que l’autre ressemble à un citoyen lambda du fin fond de l’Arkansas… Pas rasés, cheveux longs, fumeurs de joints, mais faisant un rapport quotidien à la télé américaine. Ces soldats sont d’une crédibilité douteuse, surtout qu’ils sont censés représenter les États-Unis aux yeux des médias. Je doute que leur état major ne les contrôle pas et laisse faire…
Je ne vais pas vous raconter ce qui se passe ensuite, mais l’enchainement de situations ubuesques, un peu trop rapide à mon goût, nous amène à une conclusion quelque peu déroutante qui m’a laissé perplexe. Peut-être qu’un seul tome pour refaire cette histoire, c’est un peu court, ce qui entraine ce fouillis.
Les scénaristes J-P Pécau et Fred Duval sont pourtant des références, leurs univers et leurs expériences dans la BD SF et historiques laissaient présager un scénario plus abouti.
Il ne s’agit ici que du premier opus d’une série réécrivant l’histoire sur ce même principe du « et si… ». A suivre : La guerre froide, L’assassinat de Kennedy, La première guerre mondiale… Espérons que cette excellente équipe ne tombera pas dans les mêmes travers pour les prochains.
Philippe Buchet, l’illustrateur de la série à succès “Sillage”, développe une grande galerie de personnages. Un peu moins au niveau des décors mais il est limité dans ce cas par le cadre de l’histoire. Les représentations de la Lune ou de la Terre, qui sont des incrustations de photos, contrastent, peut être un peu trop à mon goût, avec le trait de dessin.
Les expressions des visages sont très travaillées et très réussies ainsi que la représentation de personnages connus tels Nixon ou Boris Eltsine. Ses dessins moins poétiques que dans sa série “Sillage”, mais le sujet s’y prêtait moins également. Un bémol enfin concernant les couleurs de Walter parfois un peu trop criardes avec des visages orange, des combinaisons qui monopolisent la vue, des chemises trop voyantes…
La lecture de “Jour J : Les Russes sur la Lune” laisse donc un sentiment étrange de bonne idée quelque peu sabordée, un goût de brouillon, pas forcément un bon présage pour le reste de la série.
(T1) Les Russes sur la Lune
Série : Jour J
Scénario : Jean-Pierre Pécau et Fred Duval
Dessin : Philippe Buchet
Couleurs : Walter
Editeur : Delcourt
Dépôt légal : avril 2010
Format : 240 x 320 mm
Pagination : 56 pages couleur
ISBN : 978-2-7560-1866-9
Prix Public : 13.95 €
À lire sur la Yozone :
Jour J - L’Histoire, revue, corrigée et largement chamboulée...
Illustrations © Buchet & Delcourt (2010)